Hier, lors de la Journée mondiale de la justice internationale, le 24e anniversaire de la Cour pénale internationale a été célébré. Une instance toujours décriée en Afrique, où la CPI est accusée de « chasse raciale » et de « néocolonialisme ».
La Cour pénale internationale (CPI) a désormais 24 ans. Le parquet de la CPI a été dirigé par la Gambienne Fatou Bensouda pendant neuf ans. L’arrivée, l’année dernière, du nouveau procureur général de la CPI, Karim Khan, a donné lieu à espérer que la Cour se focalise enfin sur d’autres régions du monde que l’Afrique. Khan laissait même présager que les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre en Afrique seraient, dans un futur proche, jugés par une cour africaine. Mais rien n’a changé. Pour le moment.
Karim Khan continue néanmoins de travailler. Le mois dernier, la CPI a émis ses tout premiers mandats contre des ressortissants non-africains, des Caucasiens accusés de crimes de guerre en Géorgie en 2008. Cependant, ces mandats arrivent après une promesse de financement de 45 pays occidentaux. Une promesse qui s’est concrétisée jeudi dernier, mais, ces pays le précisent, ces donations généreuses doivent êtres mises à contribution dans « les enquêtes sur les crimes de guerre de la Russie en Ukraine ».
Les plus grands juristes du monde, des avocats d’entreprise de Manhattan, en passant par les juges de la Cour suprême des Etats-Unis, jusqu’à leurs homologues en Afrique, en Amérique latine et en Asie, ont qualifié ces donations de « pots-de-vin pour une justice internationale tendancieuse ».
Des accusations qui mettent encore plus à mal la crédibilité de la CPI. La cour était déjà accusée par l’Union africaine de « néocolonialisme » et de « chasse raciale » pour avoir monopolisé ses efforts sur la condamnation de ressortissants africains.
La CPI du passé…
L’ancien ambassadeur des Etats-Unis pour les crimes de guerre, Stephen Rapp, avait dressé un portrait au vitriole de la CPI. « Lorsqu’il s’agit de crimes internationaux, il existe seulement un peu de justice, dans peu d’endroits et pour peu de personnes… très peu de fois », avait-il déclaré en 2007.
Et, en effet, 24 ans après la ratification de l’Accord de Rome, la CPI n’a enquêté que sur un nombre minime de crimes et n’en a poursuivi les auteurs qu’à quelques reprises. En l’occurrence, la guerre des Etats-Unis contre l’Iraq, la colonisation israélienne de la Palestine et l’assaut de l’OTAN contre la Libye ont été trois leurs d’espoir de la part de la CPI qui se sont vite éteintes, les enquêtes ayant été abandonnées.
A la suite de l’annonce de ces trois « débuts d’enquêtes », les Etats occidentaux ont rapidement retiré leur soutien financier à la cour.
Mais lorsqu’il s’agit de criminels de guerre africains, la CPI a été très — trop ? — efficace. Le cadre de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ougandaise Dominic Ongwen a écopé de 25 ans de prison. L’ancien général congolais Bosco Ntaganda, « le Terminator », de 30 ans de prison.
Lire : La CPI confirme la condamnation du « Terminator » congolais
Si ces deux exemples relativement récents concernent, c’est indéniable, des criminels de guerre, ce ne sont pas exactement ceux pour lesquels on blâme souvent la CPI. Le procès le plus médiatisé de la cour a sans doute été celui de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, ainsi que de son ex-épouse Simone et son ministre Charles Blé Goudé. Plus de dix ans de « séquestration judiciaire » d’un chef d’Etat d’un grand pays africain ont valu à la CPI une perte définitive de sa crédibilité en Afrique.
… et la même CPI dans le futur ?
Le problème avec la CPI, toutefois, au-delà de son passé, ce sont également ses projets futurs. En effet, parmi treize examens préliminaires actuellement sur le bureau de Karim Khan, quatre concernent des pays africains — Nigéria, Gabon, Guinée et Burundi. Les autres concernent des pays latino-américains : Venezuela, Colombie et Bolivie, surtout.
Il ne fait pas de doute, non plus, que la Russie sera attaquée par la CPI dans les prochains mois. En tout cas, si l’on en croit la cour haguenaise, les ressortissants des pays européens et des Etats-Unis n’auraient pas commis de crimes de guerre ou contre l’humanité, ni de génocides — Slobodan Milošević avait été condamné par un tribunal spécial.
Le défunt leader libyen, Mouammar Kadhafi, n’aurait certainement pas été d’accord : « Ce monde occidental, qui vous vante sa civilisation, est un monde sauvage et barbare. C’est l’Occident qui a causé les plus grandes catastrophes de l’humanité : la Première guerre mondiale, la Deuxième, les Croisades, les guerres puniques, et il mène encore de nouvelles guerres pour détruire l’humanité », déclarait-il, n’ironisant qu’à moitié.
Toutefois, comme le précise le nouveau procureur de la CPI Karim Khan, son rôle n’est pas politique. Et même dans le cadre de la justice internationale, la CPI ne serait « pas le sommet de la pyramide », se dédouane-t-il. « La CPI est un tribunal de dernier ressort, actif uniquement là où les Etats ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre eux-mêmes les atrocités », a déclaré Khan. D’où une prépondérance à juger des crimes en Afrique.
C’est à se demander si les Etats africains ne feraient pas mieux d’emboîter le pas à l’Ethiopie, à la Libye, à la Mauritanie, à l’Inde ou encore à la Chine, plusieurs pays qui n’ont jamais ratifié l’Accord de Rome. Et après 24 ans de justice internationale — d’injustice africaine, diront certains — de la CPI, leurs craintes n’ont pas été démenties.