Les pièces d’art africaines sont souvent désignées par leur ethnie ou leur région d’origine, et rarement par le nom de l’artiste. Pourquoi une telle déshumanisation ?
« Il a été admis sans discussion que l’art africain était un art anonyme dont les productions, régies par des préoccupations ethniques, religieuses et rituelles dominaient complètement l’individualité créatrice ». Dans un livre consacré à la restitution des œuvres d’art pillées an Afrique par les puissances coloniales, « Images, mémoires et savoirs », le professeur Mamadou Diawara pose une question brûlante : celle de l’origine, souvent gommée, des œuvres d’art africaines.
Certains artistes africains comme Efon Alaye, Areogun d’Osillorin, son fils George Bandele, ou encore Osei Bonsu, ont très peu de peintures et de sculptures signées. En lieu et place des noms des artistes, dans les musées européens, des milliers d’œuvres sont simplement intitulées : « Bronze béninois », « Sculpture yoruba » ou « Masque mahongwé ». Dans les cas plus rares, on trouve une estimation de la date ou de la région, mais quasiment jamais le nom de l’artiste.
S’il s’agissait de l’impossibilité de traquer l’origine de l’œuvre, les spécialistes ne seraient pas en désaccord. Sauf que l’anonymisation des œuvres ne s’arrête pas aux arts ancestraux : même des artistes africains du XIXe ou du XXe siècles ne sont pas cités sur leurs propres créations.
Dans ce cas, les archéologues, restaurateurs et anthropologues européens osent affirmer que « l’art africain est impersonnel ». Un manque de respect pour les traditions, selon l’anthropologue italien Marco Aime.
L’art africain « déshumanisé »
« Un objet créé en Afrique ou en Océanie ne devient ‘art’ que lorsqu’il est transféré en Occident. Seul le regard sélectif de l’observateur occidental en fait une œuvre d’art, et sa valeur se fonde sur nos catégories prédéterminées », déplore le spécialiste qui poursuit : « L’artiste primitif est rendu anonyme, un individu dépourvu de personnalité, qui représente des idées collectives. (…) Son œuvre est considérée comme le produit d’une culture. Une première trahison ».
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Dans une tribune publiée dans la presse, le chercheur dénonce surtout la valeur attribuée par les musées européens aux œuvres d’art africaines. Une valeur basse qui relève surtout de l’absence de la signature d’un artiste. Pourtant, insiste Aime, certains des plus grands courants de peinture, notamment l’art and craft et le cubisme, ont des origines africaines. Seulement, leur création est exclusivement attribuée à des artistes et écoles d’arts occidentaux.
Marco Aime se remémore : « A l’occasion d’une exposition d’art africain, j’ai eu la chance de rencontrer Wole Soyinka (prix Nobel de littérature nigérian, ndlr). L’écrivain s’est arrêté devant un masque et me demanda : ‘Qu’est ce que c’est pour toi ?’. ‘Un masque’, ai-je répondu. (…) ‘S’il était porté par une personne, alors oui, ce serait un masque’, a-t-il rétorqué ».
Une anecdote lourde de sens. Les œuvres d’art africaines sont-elles déshumanisées ?
La restitution des œuvres d’art africaines et ses nombreux obstacles
Une autre raison, outre les appréciations des connaisseurs, entrave la valorisation de l’art africain. Le manque de fouilles archéologiques, en plus de l’urbanisation empêchent l’établissement d’un « motif archéologique ». Ce qui isole les œuvres d’art les plus anciennes — certaines, découvertes en Afrique du Sud, datent de plus de 7 000 ans — et rend impossible leur identification exacte.
Afin de préserver les œuvres d’art pillées de la perte de leur valeur, justement, « il faut les restituer », estime la commissaire des arts camerounaise Koyo kouoh.
En 2021, le Nigéria, le Bénin et le Rwanda ont célébré la restitution de centaines de sculptures. Cependant, une majorité écrasante des œuvres d’art pillées à l’époque coloniale sont aujourd’hui toujours en Europe. La procédure de restitution est souvent rendue très difficile par les autorités européennes — françaises, portugaises, britanniques et allemandes, surtout.
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Autre souci : les frontières coloniales. Certaines pièces, en l’occurrence les bronzes du Bénin, sont difficilement imputables à une région exacte de l’Afrique subsaharienne moderne. Difficile alors de les restituer à des gouvernements en particulier.