Depuis décembre 2023, la “flotte fantôme” russe, utilisée pour contourner les sanctions occidentales sur le pétrole, a enregistré de nombreux navires sous pavillon gabonais. Selon nos informations, 40 pétroliers arborant le drapeau de ce pays d’Afrique centrale ont récemment visité des ports russes.
Le Sappho, un tanker de 183 mètres, navigue à travers le monde depuis 2005, transportant du pétrole. Alors qu’il était autrefois sous pavillon libérien, il arbore désormais le drapeau gabonais à partir du 20 octobre 2024, lorsqu’il quitte le port de Nakhodka en Russie pour Dongjing en Chine.
« Moscou a recours à des juridictions opaques »
Depuis décembre 2023, le Gabon a constaté une augmentation des demandes d’immatriculation de pétroliers, notamment des navires comme le Sappho. Le Gabon est devenu l’un des nouveaux alliés de la “flotte fantôme” mise en place par la Russie. « Moscou a recours à des juridictions de plus en plus opaques et le Gabon est l’une d’entre elles », explique Benjamin Hilgenstock, économiste à la Kyiv School of Economics.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la « flotte fantôme » cherche à contourner les sanctions occidentales. Le Kremlin utilise des tankers non assurés et non enregistrés dans les pays du G7 pour échapper aux restrictions. En juin 2024, ces navires ont transporté 4,1 millions de barils de pétrole par jour, échappant ainsi au plafonnement des prix, soit plus que la production combinée du Nigeria, de la Libye et de l’Angola.
Quand les Occidentaux ont mis en place des sanctions en juin 2022, Moscou a commencé par enregistrer ses navires sous pavillon libérien. « L’idée est de mettre le plus de distance entre la flotte fantôme et la Russie », explique Craig Kennedy, chercheur à Harvard.
Flotte fantôme : 28 navires radiés du registre gabonais
Externaliser son registre est une pratique courante. Mais en décembre 2023, les États-Unis ont découvert que la société gérant le registre libérien était basée en Virginie. Washington a exercé des pressions sur Monrovia et tous les tankers liés à la “flotte de l’ombre” ont perdu leur pavillon libérien.
C’est alors que le Gabon intervient. En moins d’une semaine, des dizaines de pétroliers adoptent le pavillon gabonais. Sur les 95 tankers qui l’utilisent aujourd’hui, au moins 40 ont récemment visité des ports russes. Ces navires se dirigent ensuite vers la Chine, l’Inde ou la Turquie.
Sollicité, le ministère des Transports gabonais nous a transmis une liste de 28 navires auxquels les autorités ont retiré le pavillon pour « activité non conforme ». Parmi eux, 13 sont passés sous pavillon russe.
« Complotite occidentale »
À Libreville, aucune autre déclaration officielle n’est faite. Mais une source proche du gouvernement admet que ces navires servent les intérêts de la “flotte fantôme” russe. La même source évoque une « complotite occidentale » visant à confier la gestion du pavillon gabonais à une structure agréée par les Américains ou les Européens.
Depuis septembre 2018, la gestion du pavillon gabonais est entre les mains d’une société émirienne, Intershipping Services. Celle-ci se présente comme le « seul représentant autorisé des autorités maritimes du Gabon ».
Les Occidentaux tentent depuis des mois de limiter l’action de la « flotte fantôme ». En juin 2024, l’Union européenne a interdit l’accès à ses ports à 27 navires qui ont contribué à l’effort de guerre de la Russie. Les États-Unis établissent également des listes de pétroliers suspectés d’appartenir à cette flotte.
Craig Kennedy explique que le Gabon est attrayant pour la Russie en raison de sa flexibilité concernant les exigences d’assurances et d’inspections. De plus, le Gabon n’est sur aucune liste de pavillons considérés comme peu sûrs par les Occidentaux.
Selon le Paris Memorandum of Understanding, seuls neuf navires battant pavillon gabonais ont été inspectés ces trois dernières années. L’Electra, un tanker, a été retenu à quai à Gibraltar pendant 15 jours en janvier 2024, en raison de manquements à la sécurité et aux conditions de travail.
avec ou sans le Gabon, la Russie n’abandonnera pas sa flotte fantôme. Benjamin Hilgenstock, de la Kyiv School of Economics, souligne que la Russie trouvera toujours un pays prêt à enregistrer ses navires.