Israël aurait proposé à plusieurs présidents ses services en matière de cyberespionnage contre un soutien, au moment de tenter d’obtenir son statut d’observateur à l’Union africaine.
Le 7 septembre dernier, le portail togolais d’information iciLomé déplorait, plus d’un an après l’affaire Pegasus impliquant, entre autres, le pouvoir togolais, le « silence radio » de la présidence, et ce « malgré le folklore du sommet sur la cybersécurité ». En mars dernier, en effet, Lomé organisait un sommet consacré à la cybersécurité « pour camoufler cette pratique non orthodoxe et donc peu recommandable », rappelle le journal local qui indique que, au terme de ce sommet, une déclaration signée par Faure Gnassingbé prévoyait « la mise en place des structures opérationnelles nationales en matière de cybersécurité, en ouvrant la voie à une coopération active avec les pays africains et avec tous les acteurs de l’écosystème numérique ».
A quelques kilomètres à l’ouest de Lomé, les opposants et la sociétés civiles ghanéens sont eux aussi confrontés à l’utilisation de Pegasus. Le logiciel espion aurait été acheté pour la première fois en 2016 par le gouvernement du président John Mahama. Il aura fallu attendre l’été dernier pour que les populations du pays se révoltent contre les écoutes de la part du pouvoir. Depuis juin, en effet, des mobilisations sont régulièrement organisées.
Et au-delà des manifestations dans les rues d’Accra, la société civile demande au régime ghanéen des réponses. Membre du collectif Arise Ghana, Bernard Mornah, à l’origine de la mobilisation, affirme qu’il demande une enquête parlementaire sur l’utilisation de Pegasus au Ghana. Oliver Barker-Vormawor, un autre militant, veut aller plus loin : son mouvement, #FixtheCountry, demande lui aussi une enquête sur l’utilisation de Pegasus et menace d’ailler déposer un recours devant la Cour suprême du pays.
Les ONG veulent des explications
Depuis les révélations sur l’affaire Pegasus, ce sont tous les militants africains qui demandent des comptes à leurs dirigeants. Derrière eux, un mouvement panafricain les soutient : Africans Rising , qui « œuvre pour la paix, la justice et la dignité », assure ne pas vouloir « faire directement pression sur les gouvernements utilisant Pegasus » mais admet que sa mission « consiste principalement à soutenir directement les mouvements » de protestation. Africans Rising « appelle les Africains à se soulever, dans la solidarité ». L’ONG Access Now dénonce, elle, des « abus » dans l’utilisation de logiciels espions et rappelle que NSO Group rend responsables ses clients de leurs actes, si ces derniers sont délictuels.
D’autres organisations sont également préoccupées par la situation, comme le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), dont la coordinatrice Afrique, Angela Quintal, assure qu’« il y a un besoin criant de transparence et de responsabilité accrues concernant la vente de logiciels espions Pegasus utilisés pour cibler les journalistes ».
Si l’utilisation de Pegasus par le Togo n’a étonné personne, les révélations concernant le Ghana sont plus étonnantes. « Cette acquisition par un pays souvent considéré comme un modèle en Afrique confirme que l’industrie israélienne des cyber-armes et de la surveillance est étroitement liée à la diplomatie de Tel-Aviv et à son programme de normalisation en Afrique, du Togo au Maroc », écrit Afrique XXI.
Une diplomatie qui ne se prive pas de contourner les lois nationales. Comme le rappelle le magazine en ligne, en mai 2020, la Haute Cour de justice d’Accra avait jugé que l’achat de Pegasus était « illégal ». Depuis les révélations sur cette affaire, NSO assure que le logiciel espion n’est plus utilisé au Ghana.
Et à ceux qui estiment que NSO est une société privée, coupée de la politique, personne n’est dupe : « En Israël, le silence sur Pegasus est presque total et il vient du gouvernement et des ministères de la défense et des affaires étrangères », indique Eitay Mack. M. Mack. Des sources israéliennes confirment : « NSO vend son logiciel à des gouvernements mais, en dernier lieu, c’est toujours Israël qui donne son aval ou non avant que Pegasus ne soit livré ». Ainsi, le Burkina Faso était prêt, il y a quelques années, à se munir du logiciel espion. Mais les autorités israéliennes avaient refusé de vendre Pegasus à Ouagadougou. Pareil pour le Tchad.
Un outil politique ?
Pegasus est donc un outil diplomatique hors-normes. Afrique XXI assure que « les logiciels espions pourraient également avoir joué un rôle dans l’obtention par Israël du statut d’observateur auprès de l’Union africaine (UA), une position qu’il convoitait depuis près de deux décennies ». Certes, après avoir reçu l’accréditation du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, la décision est désormais en suspens. Mais quel a été le rôle de NSO ?
La journaliste Suraya Dadoo assure que plusieurs présidents ou chefs de gouvernement ont échangé leur soutien à la candidature d’Israël au poste d’observateur contre une assistance militaire, de surveillance et de renseignement. Parmi ces pays, le Ghana, donc. Mais également le Togo et le Maroc, dont l’utilisation de Pegasus est avérée. Pour d’autres pays, la question se pose : Rwanda, Côte d’Ivoire ou encore Kenya.
Reste que le deal « Pegasus contre soutien diplomatique » pourrait avoir été contractualisé bien avant cet épisode. En effet, on se souvient qu’en 2017, le Togo avait été le seul pays à voter contre la résolution condamnant la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d’Israël, aux Nations unies. Déjà à l’époque, le pouvoir en place semblait disposer de Pegasus, qui est bien plus qu’un logiciel espion. Une véritable arme diplomatique.