Deux directeurs de médias togolais ont été arrêtés pour avoir critiqué deux ministres. Une méthode habituelle du pouvoir, qui harcèle et torture certains journalistes.
C’est une scène désormais récurrente : des journalistes ont à nouveau été emprisonnés au Togo. Vendredi dernier, les directeurs des journaux L’Alternative et Fraternité, Ferdinand Ayité et Joël Egah, ont été placés sous mandat de dépôt. Ils sont accusés de « diffamation et outrage à l’autorité ». Deux ministres togolais ont en effet porté plainte contre ces journalistes après une émission diffusée sur internet.
Des méthodes loin d’être isolées. Il y a un peu plus d’un an, l’affaire du « pétrolegate » avait provoqué l’arrestation d’un journaliste d’investigation qui avait dénoncé des faits de corruption dans l’importation du pétrole au Togo. Le gouvernement avait alors lancé une enquête mais décidé de poursuivre le lanceur d’alerte, qui n’était autre que le même Ferdinand Ayité, aujourd’hui incarcéré.
Depuis, le journaliste est régulièrement intimidé par le pouvoir en place. Ayité, qui est désormais devenu un farouche opposant du président togolais, affirme que « Faure Gnassingbé utilise l’argent du Togo pour se maintenir au pouvoir ».
Comme deux autres journalistes — Carlos Ketohou et Luc Abaki —, Ferdinand Ayité faisait l’objet d’une surveillance toute particulière. L’enquête journalistique « Projet Pegasus » avait montré comment les faits et gestes des trois journalistes étaient scrutés via le logiciel espion israélien Pegasus. Les trois journalistes se sentaient alors menacés, estimant ne pas avoir « de vie privée ».
Un Gnassingbé critiqué est un Gnassingbé blessé
Ce lundi, Amnesty International a dénoncé la « détention arbitraire » de Ferdinand Ayité et Joël Egah, qui est, selon l’ONG, « une atteinte à leur droit à la liberté d’expression ». Amnesty déplore le fait que « les autorités cherchent à faire taire les voix critiques envers le pouvoir ». En effet, lors de l’émission incriminée, les journalistes ont critiqué deux ministres, ce qui leur a valu une arrestation.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, Faure Gnassingbé poursuit la politique de terreur imposée par son père, Gnassingbé Eyadéma, à l’encontre des journalistes. Récemment, en 2017, La Chaîne du Future et Radio City FM, deux médias indépendants, avaient été fermés par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC). Outre une pression sur les médias, des cas de torture sont régulièrement dénoncés.
Franck Kepomey, directeur exécutif de la Concertation nationale de la société civile du Togo, rappelle en effet « l’attaque et la torture infligées au journaliste Robert Avotor par les forces de sécurité ». « La torture de journalistes est une pratique très cultivée par Gnassingbé père et ses sbires sanguinaires. En héritant de la dictature de son père, Faure Gnassingbé n’a en réalité rien laissé du système » en place, indique l’Association des victimes de torture au Togo (Asvitto). Robert Avotor avait également échappé à une tentative d’assassinat.
Les suspensions de médias sont un premier pas avant une intimidation plus poussée. Ainsi, L’Alternative a déjà été suspendu pour quatre mois en février dernier par la HAAC, après avoir critiqué le ministre de l’Urbanisme Koffi Tsolenyanu. On se souvient également que l’ex-ambassadeur de France au Togo, Marc Vizy, avait fait suspendre ce média début 2020, profitant d’une loi taillée sur mesure contre les journalistes. Fraternité a également été suspendu à la même époque pour avoir… défendu ses confrères de L’Alternative.
Une liberté de la presse qui n’existe pas
Reporters sans frontières (RSF) rappelle que, en théorie, « la dépénalisation des délits de presse est acquise depuis 2004 ». Mais, poursuit l’ONG, « la situation de la liberté de la presse est toutefois fortement dépendante du contexte politique ». Les journalistes ne peuvent en effet s’attaquer ni à la corruption, ni à l’armée, ni au président ou à sa famille. 74e au classement mondial de la liberté de la presse de RSF, le Togo continue donc d’emprisonner ses journalistes.
Un classement qui ne reflète en rien la réalité. Sur place, la présidence met régulièrement une grosse pression sur la presse. Selon des proches du palais de Lomé, grâce à la HAAC, le pouvoir impose des règles drastiques aux médias pour étouffer financièrement ceux de l’opposition.
« La culture du journalisme d’investigation est freinée par des pressions, des poursuites voire des sanctions infligées par un organe de régulation (la HAAC) qui manque d’indépendance, comme est venu le rappeler la série de suspensions de journaux privés, dont la plus récente est celle du bihebdomadaire L’Alternative, du journaliste d’investigation Ferdinand Mensah Ayité », déplore RSF.
Au journalisme d’investigation, le Togo préfère s’adjuger les services d’une presse aux ordres. Une presse complètement tenue par les finances. A coup de publireportages, le chef de l’Etat togolais tente de contrer les informations relayées par des journalistes de la diaspora, aujourd’hui seuls à pouvoir écrire librement et décrire l’état réel de leur pays d’origine.