En République démocratique du Congo, si la pression fiscale reste dans la moyenne de ce qui se pratique en Afrique, un nombre ahurissant de taxes, parfois étonnantes, empêche le développement du monde des affaires.
Officiellement, la République démocratique du Congo (RDC) est le dixième pays le plus corrompu du monde, et le cinquième en Afrique. Le pays abrite plus de la moitié du cuivre et du cobalt dans le monde, et dispose de réserves importantes de zinc, de coltan, d’or ou encore de diamants.
Une richesse incroyable, exploitée majoritairement par des entreprises étrangères. Une grande partie de ces dernières se contente de racheter les ressources minées illégalement par les locaux. Ces entreprises étrangères mettent la main sur les sites miniers en passant par des accords politiques, la faute à la grande corruption qui règne sur place. Certaines, toutefois, s’écroulent sous le poids de la petite corruption.
Symbole de cette petite corruption : les taxes. « Il y a plus de 550 000 différentes taxes au Congo », ironise un homme d’affaire sous couvert d’anonymat. Un chiffre largement exagéré, l’administration congolaise ne recensant pas toutes les taxes, mais qui montre à quel point l’argent circule entre la production et la distribution des produits fabriqués sur place.
Taxes de décoration, l’exemple de l’artisanat
Le 23 février 2013, une liste de nouvelles taxes a été publiée, suite à une ordonnance-loi préparée par l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon, promulguée par Joseph Kabila. Une liste si longue que peu nombreux sont les médias à s’être pensés dessus.
Parmi ces taxes, on trouve par exemple des « taxes de décoration », le cauchemar des entrepreneurs. Pour commencer à produire des objets d’artisanat en RDC, l’administration exige de payer 15 taxes dans cette liste relativement récente. Pour vendre ces objets, il faut donc demander quatre autorisations différentes : la demande de prise de vue, d’autorisation de paiement de taxes au titre de la demande de production, la taxe sur l’exécution d’œuvres d’art et culturelles anonymes, et la demande de permis d’atelier artistique. Coût total : 680 dollars au minimum — dans un pays où le salaire minimum ne dépasse par les 44 dollars mensuels. Anomalie du système : le montant de deux de ces taxes est laissé à l’appréciation… des autorités.
Les taxes pleuvent sur les entreprises. Qui n’imaginent pas que pour changer leur parquet ou leurs peintures, il leur faudra s’acquitter d’une taxe spéciale. Et les exemples sont nombreux, de sommes réclamées par l’administration, pour des opérations habituellement anodines.
Un vol en bonne et due forme ?
Du côté des industriels, un inspecteur de la Direction générale des impôts (DGI) rend visite à une société ou à une usine au moins quotidiennement. Certains entrepreneurs paient des pots-de-vin pour ne pas être embêtés. Ces responsables de la DGI sont souvent chargés de déterminer eux-mêmes la valeur des taxes réclamées.
Et sur ce plan, la créativité est toujours au rendez-vous. Sans équipement de prélèvement, les inspecteurs décident si le produit est fini ou s’il s’agit de matières premières. Une distinction essentielle, car l’Etat prélève 2 % du coût de matières premières et 2 % de la valeur du produit fini, sans compter les taxes personnelles. Et ce, sans distinction légale entre les personnes physiques et morales, comme le prévoit pourtant la loi congolaise.
S’ajoutent à cela 20 dollars sur chaque tonne de matières premières importées pour le docking —communément appelé stevedoring. En résumé, pour l’utilisation des grues dans les ports, une taxe est prélevée même si les produits importés ne nécessitent pas l’utilisation des grues. Pire, certains hommes d’affaires doivent payer l’utilisation des grues tout en étant obligés d’utiliser leurs propres grues, le port n’ayant pas la capacité de leur fournir le matériel nécessaire.
Cette taxation sauvage, qui ne gonfle en rien les caisses de l’Etat mais finit généralement dans les poches des inspecteurs, est encore plus abusive pour les entreprises utilisant des véhicules. Chaque société doit en effet payer 140 dollars par mois et par véhicule, qu’il s’agisse d’une grosse cylindrée, d’une voiture de service ou d’une semi-remorque.
Il existe également une taxe pour les employés dans les entreprises industrielles. Elle s’élève à 7 % du salaire de chaque employé congolais et à 14 % de celui d’un employé expatrié (IERE). Cette taxe n’est pas prélevée sur le salaire mais imputée à l’entreprise.
La graine de la corruption
Une taxation destructrice pour les investisseurs dans plusieurs secteurs. Le taux de l’impôt sur le revenu des personnes s’élève à 30 % pour les PME, et les employés, et dirigeants, de l’entreprise doivent en plus payer 15 % de leurs revenus déclarés en supplément.
Comment, alors, le total de toutes ces taxes peut-il rapporter si peu à la RDC ? On estime en effet que les taxes ne rapportent que peu au maigre PIB du pays. Selon la Banque mondiale, la RDC, malgré un taux d’imposition de 67 %, a un apport de taxes au PIB de 7,76 %, inférieur à ce qu’il était en 2001 — 9%.
Pour l’activiste Jean-Claude Mputu, du collectif Le Congo n’est pas à vendre, « la corruption est responsable de tous les maux du pays ». Mais si l’on s’arrête souvent à la corruption des responsables politiques et de l’armée, n’importe quel visiteur du pays verra que la petite corruption est beaucoup plus diffuse.
« Au-delà des millions que l’on pointe dans les grandes affaires, la corruption est présente dans toute la vie du Congo. C’est sans doute l’un des rares pays au monde où, au sein de l’administration, il n’y a aucune grille tarifaire et où tout se négocie de bouche-à-oreille. Il suffit de regarder sur les routes la manière dont les agents affectés à la circulation routière prennent sans cesse de l’argent à la population », résume l’activiste.