Treize mois après le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), le marché commun le plus ambitieux de la planète est-il à la hauteur des attentes ?
Plus de treize mois se sont écoulés depuis l’entrée en activité, pour les pays signataires, de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Depuis le début des activités du programme économique, le 1er janvier 2021, l’impact de la Zlecaf est cependant à peine visible. Pourtant, la Zlecaf est, à tous les titres, le programme économique le plus ambitieux de l’histoire depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Sur le papier en tout cas.
Car avec 54 des 55 pays du continent ayant déjà signé l’accord de la zone de libre-échange, la Zlecaf peut se targuer d’être une zone économique englobant près de 1,3 milliard de personnes et dotée d’un PIB brut impressionnant — 3,4 trillions de dollars.
Le projet de la Zlecaf vise, concrètement, à réduire les coûts des intrants et les dépenses de transport et de retards pour les exportateurs africains. La zone économique doit permettre une réduction des tarifs douaniers entre les membres. Selon les spécialistes, l’objectif de la Zlecaf est, entre autres, de doubler le commerce intra-africain d’ici à 2035.
Un programme économique ambitieux…
Dans une économie de plus en plus inter-reliée, dominée par les groupements d’Etats et par leurs blocs économiques respectifs, les arguments en faveur de la Zlecaf n’ont jamais manqué. Néanmoins, difficile de savoir, pour certains Etats membres, s’ils allaient sortir gagnants de ce projet.
Pour le moment, d’ailleurs, impossible d’en avoir la certitude : le succès de la zone de libre-échange dépendra de la manière dont les Etats membres mettront en œuvre les réformes et les réformes commerciales liées à l’accord.
L’Union africaine (UA) avait eu la volonté de mettre en œuvre la Zlecaf, certaine qu’il fallait une intégration commerciale à travers le continent. Mais le projet a longtemps été entravé par la faiblesse des infrastructures et des réglementations douanières ou concernant le transport.
Si, très rapidement, 44 des 55 Etats membres de l’UA ont accepté de participer à la Zlecaf à partir de mars 2018, 10 autres Etats ont emboîté le pas entre 2019 et 2020. Le seul pays qui n’a pas encore signé l’accord est l’Erythrée, dont l’économie est réputée pour être très fermée.
Lire : Economie et politique : les nombreux défis de la Zlecaf
Treize mois après le lancement officiel de la Zlecaf, l’heure est déjà au premier bilan.
Alors que les négociations autour de nombreuses questions sont encore en cours, voire n’ont pas débuté, il faudra encore du temps pour que la zone commerciale puisse pleinement fonctionner. Personne ne s’attendait à ce qu’un programme aussi ambitieux soit pleinement opérationnel en un peu plus d’un an, certes. Mais force est de constater que le projet patine un peu. La première excuse avancée par l’UA quant à la lenteur de l’application des mesures de libre-échange a été, sans grande surprise, la pandémie de Covid-19.
… freiné par la pandémie
La pandémie avait d’ailleurs provoqué le report de l’entrée en service du programme d’un an.
S’exprimant lors de la dernière foire commerciale intra-africaine (IATF 2021), en novembre dernier, le secrétaire général de la Zlecaf, Wamkele Keabetswe Mene, a estimé que la Covid-19 était « le plus grand défi » qu’il avait connu depuis son élection.
« Ce que nous avons appris, ce sont deux choses : premièrement, nous devons accélérer le développement industriel de l’Afrique, car nous importions, au moins pendant les tout premiers six à neuf mois de la pandémie, des ventilateurs, des produits anti-germes, l’équipement nécessaire pour lutter contre la pandémie. La deuxième leçon que nous avons apprise est qu’il est important d’établir des chaînes d’approvisionnement et des chaînes de valeur propres à l’Afrique », poursuit Wamkele Mene.
Pour les spécialistes, le manque d’effets de l’entrée en fonction de la Zlecaf serait donc la suite logique de la pandémie. Selon un rapport de l’Université du Cap, le « haut niveau d’engagement politique » est, en lui-même, un résultat positif. « Les attentes étaient très élevées, et l’élan créé juste avant la pandémie était si exceptionnel, qu’il y a un peu de déception que nous soyons en retard sur certains des objectifs qui ont été convenus par les Etats signataires », lit-on dans ce rapport.
L’Occident a-t-il été un obstacle à la Zlecaf ?
Selon Carlos Lopes, professeur à l’Ecole de Gouvernance Nelson Mandela, l’ingérence d’acteurs étrangers serait également à l’origine du retard pris par la Zlecaf. « Nous avons vu la dynamique passer d’une volonté d’obtenir des résultats rapidement à une volonté d’attendre davantage pour voir certains des avantages au niveau national par certains des pays qui détiennent la plus grande part de marché dans la Zlecaf », résume Lopes.
« L’un des principaux obstacles au succès de la Zlecaf est l’ingérence d’acteurs externes – en particulier l’Union européenne (UE) – qui poussent agressivement les accords commerciaux bilatéraux avec les pays africains. Qui sont également limitatifs pour la Zlecaf », poursuit le spécialiste.
En effet, la mise en place du cadre commun de la Zlecaf a connu une mise en retrait de certains pays — l’Egypte, le Nigéria et l’Afrique du Sud en particulier —, qui avaient joué un rôle important lors de la signature de l’accord. Ces pays se montrent, aujourd’hui, plus réservés sur certains aspects liés notamment aux frais douaniers et à la propriété intellectuelle.
Du côté du Nigéria, l’obstacle, ce sont principalement les syndicats nationaux, défavorables à l’accord. L’Afrique du Sud, elle, s’enlise sur la question des règles d’origine et de la propriété intellectuelle, deux cadres commerciaux communs essentiels selon les négociateurs sud-africains. Pour Le Caire, la récente signature de plusieurs accords commerciaux, notamment avec l’UE, semble paradoxale avec une pleine participation de l’Egypte à la Zlecaf.
La Zlecaf est-elle trop ambitieuse pour devenir une réalité ? Ou alors, le retard pris n’est-il qu’anecdotique ? L’Union africaine, en tous cas, estime que les problèmes liés à ce dossier ne sont pas prioritaires : les discussions concernant la Zlecaf ne figuraient en effet pas à l’ordre du jour du 35e sommet de l’instance continentale, ce week-end.