Alors que la Tunisie prônait autrefois une diplomatie de neutralité, le président Kaïs Saïed s’isole de plus en plus au niveau régional. L’Algérie compterait réduire ses exportations de gaz vers Tunis. Explications.
Pour augmenter la quantité de gaz algérien exporté vers l’Italie, qui entraînera une hausse du droit de passage que la Tunisie perçoit en GNL relevé, l’Algérie tenterait actuellement de réduire les quantités de gaz vendu à la Tunisie.
La Tunisie, dépendante à hauteur de 70 % de ses besoins en gaz naturel de l’Algérie, obtient le gaz algérien de trois manières : le droit de passage s’élève à 5,25 % du volume de gaz acheminé par le gazoduc Transmed, traversant la Tunisie pour l’Italie. De plus, la Tunisie achète plus de 30 % de sa consommation en gaz à l’Algérie dans le cadre d’accords bilatéraux. Pour ces deux achats d’énergie, rien ne change.
En revanche, ce qui pourrait bien évoluer, ce sont les quantités du GNL algérien acheté via des contrats séparés. Le pourcentage de gaz algérien obtenu par la Tunisie devrait, cependant, s’équilibrer avec l’augmentation du « gaz fiscal », estimée à 40 %, et qui entraînera donc une augmentation de 10 % des volumes de gaz obtenus par la Tunisie.
Toutefois, le fait qu’Alger mette un frein à la fourniture du « gaz contractuel » à la Tunisie interroge. Car au-delà de l’augmentation ou de la réduction du gaz obtenu par la Tunisie, la position entre les deux pays frères est assez inhabituelle.
Un rapprochement avec l’Egypte qui déplaît à Alger ?
L’un des facteurs ayant facilité l’amitié algéro-tunisienne, au-delà de l’Histoire commune des deux pays, a souvent été leur diplomatie homogène. L’Algérie et la Tunisie tombent quasiment toujours d’accord lorsqu’il s’agit de diplomatie euro-maghrébine ou d’adhésion commune à la cause palestinienne, entre autres dossiers panarabistes.
Là où les deux pays voisins divergent, c’est dans leurs relations avec les puissances asiatiques ou l’Amérique latine. Là où la diplomatie algérienne est plutôt bien installée, ce n’est pas le cas de la Tunisie, et vice et versa. Mais jusqu’à très récemment, la Tunisie ne s’impliquait que superficiellement dans les dossiers géopolitiques internationaux, maintenant une certaine neutralité dont la diplomatie tunisienne pouvait se targuer.
Cela a bien changé depuis le passage des pleins pouvoirs au président Kaïs Saïed. Si ce dernier a tout fait pour maintenir un rapport au beau fixe avec l’Algérie voisine, le président tunisien, en compagnie de son diplomate-en-chef Othmane Jerandi, prend des positions qu’Alger n’apprécie que très peu. Il s’agit, en premier lieu, du rapprochement à vitesse grand V avec l’Egypte qui interloque. En raison d’une hostilité commune aux partis islamistes entre Kaïs Saïed et Abdel Fattah al-Sissi, les deux chefs d’Etats tombent automatiquement d’accord sur les questions de politique arabe.
Pas plus tard que vendredi dernier, Kaïs Saïed avait reçu le Premier ministre égyptien Moustafa Madbouli. Saïed a déclaré que son homologue al-Sissi avait « sauvé l’Egypte d’une période très dangereuse ». « Le président al-Sissi a raccourci les délais et a fait gagner au peuple égyptien beaucoup de temps », assurait Kaïs Saïed. Des éloges au pogrom des opposants par al-Sissi, donc. Des opposants issus du mouvement des Frères musulmans, tout comme ceux délestés du pouvoir par Kaïs Saïed le 25 juillet dernier.
L’Algérie agacée par les positions diplomatiques de la Tunisie
Là où la politique commune de Saïed et al-Sissi dérange Alger, c’est qu’elle s’accompagne d’une adhésion étrange de la Tunisie à de nouvelles normes diplomatiques. Notamment, Tunis s’est beaucoup rapprochée, en quelques mois à peine, des Emirats arabes unis et de l’Arabie saoudite.
Et même si Kaïs Saïed était personnellement intervenu pour empêcher tout lobbying pour une partie ou une autre dans le conflit libyen sur son territoire, la position tunisienne dans le dossier libyen ne cesse de provoquer une dégradation des relations entre Tunis et Tripoli.
Devant le Conseil de sécurité des Nations unies, la Tunisie avait pris l’initiative de présenter la motion qui avait, après son approbation, condamné le remplissage du Barrage de la Renaissance (GERD) par l’Ethiopie. Une décision que le ministre éthiopien des Affaires étrangères Demeke Mekonnen a qualifié d’« erreur qui entachera le mandat de la Tunisie en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité ». Une position tunisienne sur le GERD que l’Egypte salue, évidemment. Mais, pour l’Algérie, alliée de l’Ethiopie dans le G4, les sourires ne sont pas de mise.
Lire : Ethiopie : L’affaire du GERD devant le Conseil de sécurité de l’ONU
Enfin, la nouvelle ligne diplomatique tunisienne s’est aussi répercutée sur le dossier du moment : le conflit russo-ukrainien. La Tunisie fait partie des rares pays nord-africains à avoir condamné la Russie à l’ONU. Or, la Russie entretenait des relations très cordiales avec la Tunisie, mais Moscou est aussi l’un des premiers alliés de l’Algérie.
Si Tunis tente de lisser sa diplomatie inhabituellement agressive par des visites bilatérales récurrentes avec l’Algérie, il n’est pas sûr que l’Algérie soit assez patiente, alors que son voisin immédiat multiplie les décisions unilatérales. D’autant plus que du côté du ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, l’irritation est assez visible. Dans une visite de son homologue Jerandi à Alger début mai, Lamamra a déclaré : « Il faut coordonner davantage les positions (de l’Algérie et de la Tunisie) dans les sujets d’intérêt commun au plan régional et international ».