Alors que flambent les prix mondiaux des produits de première nécessité, l’Algérie multiplie les initiatives pour tenter d’obtenir une autosuffisance agricole et énergétique. Un projet avec la Chine, dans le secteur de la production d’engrais, vient d’être signé.
Mardi dernier, des entreprises algériennes et chinoises ont signé un accord de coopération pour la mise en place d’un mégaprojet dans la transformation des phosphates en engrais. Le projet, estimé à 7 milliards de dollars, a fait l’objet d’un appel d’offre l’an dernier, remporté par les sociétés chinoises Wuhuan et Tian’an, qui collaboreront avec Asmidal, la filiale de Sonatrach. La nouvelle société, Algerian Chinese Fertilizers Company (ACFC), est détenue à 56 % par la partie algérienne.
La Chine est le premier pays producteur et exportateur d’engrais dans le monde. Un secteur qui a permis à l’Empire du milieu de se positionner sur plusieurs marchés agricoles, comme ceux du riz, des légumes ou de la viande.
Et la production agricole chinoise dépasse de loin ses propres besoins, Pékin n’a aucune peine à nourrir sa population — le quart de la population mondiale — et dépasse même les Emirats arabes unis en termes de sécurité alimentaire, selon les classements du Fonds international de développement agricole (FIDA) et du Programme alimentaire mondial (PAM).
Des progrès que la Chine doit en grande partie à la production d’engrais phosphatés, un marché dont elle contrôle 28 % de la production et près de 13 % des exportations sur le marché mondial.
L’Algérie, quant à elle, est le premier pays d’Afrique en termes de sécurité alimentaire, et le premier, également, en production d’engrais. Alger est le huitième exportateur mondial, en plus de pouvoir se targuer d’être autosuffisant.
Chine-Algérie : Un choix politico-économique
Pourquoi l’Algérie a-t-elle choisi d’investir plus de 3 milliards de dollars dans ce projet avec la Chine ? Le projet permettra de produire jusqu’à 5,4 millions de tonnes d’engrais par an, ce qui placera l’Algérie à la troisième place mondiale de production d’engrais.
Même en exportant la moitié des engrais produits par ce projet, l’Algérie sera en passe de dominer, avec la Chine donc, de loin le classement mondial des exportations d’engrais.
Surtout, les engrais phosphatés (azotés) sont les meilleurs pour la culture dans les régions arides et semi-arides. L’Algérie exploite, malgré sa très bonne production agricole, à peine 18 % de son territoire pour l’agriculture, notamment à cause du climat.
Un choix économique qui interroge, donc : l’Algérie est-elle en passe de développer davantage son agriculture ? En tout cas, le timing permet de le penser. Avec les importations des céréales et des autres produits agricoles au point mort en raison du conflit russo-ukrainien, les Etats moins proches de l’Occident — l’Algérie et surtout la chine — craignent que cela ait de graves conséquences.
Lire: Comment le conflit Russie-Ukraine pourrait influer sur l’approvisionnement alimentaire de l’Afrique
Mais cet accord est également très politique. Alors que l’Europe est de plus en plus friande du gaz algérien — une aubaine pour l’Union européenne en pleine pénurie énergétique —, la diplomatie algérienne est dans une position très confortable pour engager de nouveaux projets avec des partenaires internationaux, dont la Chine.
« Le monde d’aujourd’hui est confronté à de graves défis et la crise humanitaire est préoccupante. En particulier, les droits et intérêts légitimes des nombreux pays en développement ont été violés, et ils sont contraints de choisir leur camp, voire de renoncer à leur autonomie diplomatique. Cette situation ne doit pas perdurer. L’Algérie et la Chine partagent des expériences historiques communes et des positions et propositions similaires. Les deux parties doivent coopérer étroitement pour défendre les normes fondamentales régissant les relations internationales et maintenir un ordre international juste et raisonnable ».
« L’Algérie partage les vues de la Chine sur la crise actuelle en Ukraine. L’Algérie et la Chine, avec des dizaines de pays, se sont abstenues lors du vote sur une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la question de l’Ukraine, envoyant un signal clair que nous voulons maintenir notre indépendance et donner une chance à la paix. La partie algérienne estime que la proposition de la Chine repose sur l’équité et la justice internationales, se concentre sur la promotion de la paix, de la stabilité et de la sécurité et constitue une bonne voie ».
Ramtane Lamamra (ministre algérien des Affaires étrangères)
Vers un véritable développement agricole ?
Il semble également qu’Alger, forte d’un dédoublement anticipé des revenus des hydrocarbures, compte bien investir pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. De quoi s’émanciper diplomatiquement de toute dépendance de l’Occident ? En tout cas, l’augmentation de la production d’engrais au-delà des besoins des Algériens rappelle à s’y méprendre la première étape du plan agricole russe de 2004.
Ce plan avait permis à la Russie — actuellement deuxième exportateur d’engrais mondial derrière la Chine — de réhabiliter 25 % des terres agricoles abandonnées en raison d’une pénurie d’engrais. Une pénurie provoquée par l’effondrement de l’URSS dans les années 1990, que Moscou a contournée en installant de nouvelles usines de production d’engrais azotés.
« Dans le contexte de l’Algérie, la sécurité alimentaire constitue un aspect sur lequel la réflexion ne saurait être ajournée, car les réformes et les ajustements qu’il serait nécessaire d’engager pour remédier aux insuffisances sont principalement d’ordre structurel dont les résultats escomptés ne se concrétiseront qu’à long terme. Demain se construit aujourd’hui. Tout retard aura des conséquences lourdes pour le pays »
Ali Daoudi (agroéconomiste algérien)
Lire : Rapport de force économique Russie-Occident : un cycle qui se termine ?
Reste que, le principal défi qui se dresse face à l’autonomie alimentaire en Algérie n’est pas le manque d’engrais, mais plutôt le climat. Or, depuis le mandat de Houari Boumédiène, l’Algérie a montré l’exemple dans la lutte contre la désertification. Le Barrage vert, avec ses 370 millions d’arbres, est toujours une des priorités algériennes.