Le président américain Donald Trump a pris une série de décisions qui ont porté un coup dur à la gestion mondiale de la santé. Il a annoncé le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé et ordonné un gel de 90 jours des fonds alloués par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Et un gel de 90 jours a été imposé sur l’argent distribué par l’USAID, en attendant un examen par le Département d’État américain. Ce gel concerne notamment les fonds pour le Plan d’urgence du président pour la lutte contre le sida (PEPFAR). Ces décisions ont suscité une vive inquiétude dans le secteur de la santé mondiale.
Catherine Kyobutungi, directrice exécutive de l’African Population and Health Research Center, indique quels sont les pays les plus touchés et les programmes de santé qui seront les plus touchés.
Quelles sont les conséquences du retrait des États-Unis pour l’Afrique ?
Le retrait des États-Unis de l’OMS et le gel annoncé du financement de l’USAID sont des mesures dévastatrices qui auront des effets dramatiques sur la santé de millions de personnes en Afrique.
Les États-Unis sont de loin le plus grand donateur de l’OMS, contribuant à environ 18 % du financement total de l’agence.
L’aide américaine au développement est utilisée pour mener des programmes de santé à grande échelle sur le continent. Par exemple, le Nigeria a reçu environ 600 millions de dollars américains d’aide sanitaire des États-Unis, soit plus de 21 % du budget de la santé pour 2023.
L’OMS est un organisme mondial de santé qui synthétise la recherche scientifique et élabore des lignes directrices sur lesquelles les pays africains s’appuient pour définir leurs propres politiques et pratiques.
La plus grande perte pour l’Afrique sous l’égide de l’USAID sera le financement du PEPFAR, qui soutient les programmes de prévention, de dépistage et de traitement du VIH. Par le biais du PEPFAR, le gouvernement américain a investi plus de 110 milliards de dollars dans la lutte mondiale contre le VIH/sida.
Qu’est-ce qui va disparaître?
Cette décision entraînera une perte de nombreuses capacités.
Tout d’abord, l’OMS fournit des orientations techniques sur de nombreux sujets allant de la gestion de la tuberculose à la lutte efficace contre le paludisme.
Deuxièmement, la capacité à mobiliser des ressources. L’OMS a le mandat et les mécanismes pour réunir des experts du monde entier afin d’évaluer de nouveaux traitements, diagnostics et vaccins. Ils peuvent évaluer de nouvelles données scientifiques sur les nouveaux modèles émergents de nouveaux microbes, la résistance aux traitements actuels, etc.
Troisièmement, l’OMS dispose d’outils et de mécanismes qui ont été essentiels aux décisions des pays africains en matière de politique de santé. Il s’agit notamment de :
- la liste de l’OMS des médicaments essentiels pour éclairer la prise de décision sur les médicaments essentiels
- un mécanisme similaire pour évaluer les nouveaux vaccins, qui permet d’accélérer et de faciliter l’approbation réglementaire dans les pays africains qui ne disposent pas de systèmes solides.
Quatrièmement, l’OMS fournit également des ressources pour les interventions d’urgence, comme en cas d’épidémies telles que le virus Ebola et la COVID-19. L’OMS est en mesure de mobiliser rapidement des experts et des fonds et de coordonner les interventions d’urgence.
Cinquièmement, l’OMS fournit des directives fondées sur des preuves. Pour ce faire, elle recueille et partage des informations telles que les causes des épidémies, tout en surveillant les signes d’épidémies potentielles et en coordonnant les efforts pour développer de nouvelles technologies, telles que les vaccins et les dispositifs médicaux.
Sixièmement, la capacité de l’OMS de soutenir des programmes essentiels de prévention de la tuberculose et d’intervention d’urgence sera réduite.
Septièmement, le retrait des experts américains des agences mondiales et la fin du partage des données réduisent la capacité des États-Unis à collaborer avec le reste du monde sur les menaces sanitaires émergentes. Cela complique l’échange d’informations cruciales sur les risques sanitaires mondiaux.
Quels sont les pays les plus touchés ?
De nombreux pays africains dépendent fortement du soutien apporté par le PEPFAR et l’USAID pour financer des programmes dans le secteur de la santé et pour l’aide humanitaire.
Les pays les plus touchés sont ceux qui sont fortement touchés par le VIH, la tuberculose et le paludisme et ceux qui comptent une importante population de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
Actuellement, les huit principaux bénéficiaires de l’USAID en Afrique sont : le Nigeria, le Mozambique, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Zambie et la République démocratique du Congo.
Si des fonds ne sont pas rapidement mobilisés pour combler le vide laissé par le retrait des États-Unis, la santé de millions d’Africains sera menacée. L’incapacité à prévenir de nouvelles infections et la menace de développement d’une résistance aux médicaments en raison de l’interruption des traitements auront des conséquences considérables.
En Ouganda, où environ 1,4 million de personnes vivent avec le VIH/sida, 60 % des dépenses de son programme VIH/sida provenaient du PEPFAR, et environ 20 % du Fonds mondial (en partie financé par le PEPFAR).
Une réduction drastique du financement sera dévastatrice pour les patients et le système de santé dans son ensemble.
Le programme PEPFAR, qui constitue un soutien vital pour des millions d’Africains, était déjà fragilisé avant le récent gel des aides. En 2024, le Congrès américain a limité son autorisation à une seule année au lieu des cinq ans habituels, sous la pression des conservateurs qui s’opposent au programme, craignant qu’une partie des fonds ne finance des services liés à l’avortement.**
L’autorisation actuelle expire en mars 2025 et tombe dans la période de révision de l’aide de 90 jours. L’autorisation actuelle expirant le mois prochain, et compte tenu de l’atmosphère actuelle, il est très probable qu’elle ne soit pas renouvelée.
Quelles mesures les pays africains devraient-ils prendre ?
Il y a eu beaucoup de discussions sur les emplois et les vies perdues, mais peu sur ce qui va se passer ensuite : comment les gouvernements africains prévoient-ils de combler les déficits de leur budget de la santé à court terme et dans un avenir prévisible ?
Il est donc essentiel d’interroger nos dirigeants sur leur stratégie pour éviter un recul des progrès réalisés. Il s’agit notamment de prévenir des millions d’infections par le VIH, d’améliorer les tests de dépistage et de fournir des traitements antirétroviraux vitaux.
Les décisions soudaines et drastiques prises par l’administration Trump ont été saluées par plusieurs commentateurs comme le signal d’alarme dont le continent a besoin pour se libérer de la dépendance à un système d’« aide au développement » défaillant qui est, de l’aveu général, un outil d’influence géopolitique.
Face au désarroi général dans le secteur mondial de la santé, il est urgent que la mobilisation citoyenne pousse les gouvernements à investir dans ce secteur crucial qui dépend de l’aide étrangère. En l’absence d’investissements durables, les progrès réalisés dans le secteur de la santé risquent d’être réduits à néant, annulant des décennies de progrès dans le domaine de la santé mondiale.
Enfin, les Africains, en particulier les scientifiques et les universitaires, doivent s’opposer à la tendance inquiétante anti-science qui sous-tend certaines de ces politiques drastiques. La méfiance croissante envers la science et les institutions scientifiques ne diminuera sans un engagement fort pour la combattre.
Il est aberrant qu’un continent de 1,3 milliard d’habitants dépende des caprices d’un homme situé à des kilomètres de là, dont une simple signature peut tout remettre en question.
Le monde doit se réveiller. Nous devons nous réveiller.
Catherine Kyobutungi, Executive Director, African Population and Health Research Center
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.