Shell, ENI, Zenith Energy… Quand les sociétés pétrolières internationales ne quittent pas la Tunisie, elles tentent de faire valoir leurs droits devant des juridictions internationales. Mais quel est le problème ?
Début 2022. Alors que le groupe Zenith Energy accentuait sa présence en Tunisie, c’était, dans la presse, une véritable lune de miel qui était décrite. Début janvier, l’année dernière, la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie, Neila Gonji, avait reçu en grande pompe le PDG de la compagnie pétrolière italo-canadienne. Andrea Cattaneo, PDG, affirmait alors sa volonté de renforcer la présence de Zenith Energy en Tunisie. Il proposait d’augmenter les investissements de Zenith dans le secteur des hydrocarbures en achetant des champs que d’autres sociétés étrangères de pétrole voulaient vendre. Alors que la rencontre se terminait, la ministre promettait de « soutenir les nouveaux investisseurs dans le secteur des hydrocarbures ».
Campagnes de dénigrement contre les compagnies pétrolières étrangères
Un discours de façade. Car en coulisse, déjà à l’époque, la grogne des industriels du secteur pétrolier était bruyante. À l’exemple d’ENI. Comme Shell avant lui, le groupe pétrolier italien avait annoncé son départ de la Tunisie en 2021. Mais fin 2022, bloqué par le gouvernement, le groupe avait fini par suspendre la vente de ses actifs alors qu’il avait pourtant trouvé un acquéreur. « Plusieurs entreprises pétrolières cherchant à quitter la Tunisie sont confrontées à l’attentisme de l’Etat », écrivait alors Africa Intelligence. Quelques années plus tôt, EnQuest avait décidé de quitter la Tunisie après plusieurs acquisitions, faute d’avoir reçu la lettre de non-objection des autorités tunisiennes.
En mai 2021, Hassen Zargouni, patron de l’institut de sondage Sigma Conseil, réfutait les raisons officielles avancées par les compagnies pétrolières et indiquait qu’officieusement, avec « les campagnes de dénigrement qu’ont connu à juste titre ou non les compagnies pétrolières et gazières étrangères en Tunisie, avec l’instabilité sociale et les arrêts intempestifs et fréquents de travail, avec les actes de vandalisme qu’ont connu les sites de production ainsi que les pipelines, en raison de moult raisons objectives et subjectives, il est désormais compliqué d’opérer en Tunisie en matière d’énergie fossile ».
L’affaire Zenith Energy, un mauvais signal envoyé aux institutions internationales
Alors, lorsque Neila Gonji expliquait, donc, à Andrea Cattaneo que la Tunisie ferait tout pour soutenir son secteur, derrière les beaux discours, les analystes savaient que l’entreprise italo-canadienne allait vite déchanter. Il n’aura d’ailleurs fallu attendre qu’un peu plus d’un an pour que les relations entre les deux parties s’enveniment. Zenith Energy a en effet traîné la Tunisie devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), régi par la Convention de Washington de 1965. Objectif : régler un différend concernant les concessions pétrolières d’Ezzaouia, à Zarzis, gérée par Ecumed Petroleum Zarzis, une filiale de Zenith Energy, et de Sidi El Kilani, gérée par une autre filiale, Canadian North Africa Oil & Gas.
En pleine action en justice de Zenith Energy, Tunis et le Fonds monétaire international discutent. Or, une plainte devant le Cirdi est problématique pour un pays au moment de discuter avec le FMI, même si Zenith Energy admet en coulisse vouloir une négociation à l’amiable. Mais si Tunis ne coopère pas, le ton pourrait monter. Ce qui n’est pas dans l’intérêt de la Tunisie, alors que l’instance de Bretton Wood a des exigences qui touchent également le secteur pétrolier : comme le rappelle une étude de l’Association tunisienne des contrôleurs publics (ATCP), la Tunisie doit impérativement achever son processus d’adhésion à l’initiative mondiale sur la transparence dans les industries extractives (ITIE), dont les membres se sont réunis ces derniers jours à Dakar, au Sénégal. Car si le ministère tunisien de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie affirme que le processus d’adhésion est en bonne voie, on en est encore loin. D’ailleurs, la ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie, Neila Nouira Gonji, a été limogée il y a un mois, et son successeur n’a pas encore été choisi.
« Chaque baril produit en moins est une recette en devises perdue par l’Etat »
En attendant, ce sont les désistements et les départs qui se multiplient, tout autant que les procédures judiciaires. Pour Charfeddine Yacoubi, expert en gouvernance et ressources naturelles, les blocages administratifs poussent les plus grandes entreprises pétrolières à quitter la Tunisie. L’étude de l’ATCP pointe, elle, du doigt, « des dysfonctionnements majeurs » dans le fonctionnement de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (ETAP) — notamment concernant le différend la société d’exploration suédoise PA Resources et les autorités tunisiennes dans le cadre du permis d’exploitation du puits de Makthar — et demande une révision du Code des hydrocarbures.
Les blocages dans un secteur pourtant propice au développement du pays sont autant néfastes pour les sociétés internationales que pour la Tunisie, indiquait pour sa part La Presse de Tunisie en avril 2022. Le journal national rappelait qu’au moins 50 % des revenues pétroliers « reviennent au pays d’une façon ou d’une autre à travers l’ETAP et les revenus des impôts ». « Chaque baril produit en moins est une recette en devises qui est perdue pour l’Etat », déplorait le journal qui s’intéressait au « calvaire » administratif subi par Zenith Energy. Le groupe italo-canadien s’était engagé à investir dans le secteur pétrolier en Tunisie. Mais « la bureaucratie » et « la rigidité de l’administration » sont venues à bout de la volonté du PDG italien de l’entreprise, qui est toutefois toujours disposé à poursuivre ses activités en Tunisie, malgré la procédure d’arbitrage. « Mais la patience de Zenith pourrait bien avoir ses limites », s’inquiète un spécialiste du secteur.