En plein débat sur les méfaits du méga-projet d’oléoduc en Ouganda et en Tanzanie, l’État français a assuré n’avoir jamais apporté un quelconque soutien à TotalEnergies.
Le feu vert a été donné : ce 21 février, la Tanzanie a définitivement accepté le lancement de l’East Africa Crude Oil Pipeline (EACOP). Au cœur du méga-projet, la multinationale française Total, qui fait polémique depuis bien longtemps. Car l’EACOP sera un oléoduc de plus de 1 400 kilomètres qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie. Et pour arriver à atteindre les objectifs d’extraction de 200 000 barils par jour, il a fallu exproprier 100 000 personnes. Une opération en cours qui inquiète les ONG, qui n’ont de cesse d’alerter l’État français. Mais ce dernier a botté en touche. « Le gouvernement français pas là pour dénoncer des projets d’entreprises privées », a simplement rétorqué le ministre français du Commerce extérieur Olivier Becht, qui s’est notamment rendu en Tanzanie.
Depuis la privatisation, au début des années 1990, de Total, l’État français n’aurait donc plus son mot à dire. En théorie, rien d’étonnant : TotalEnergies possède 62 % du consortium qui détient la licence d’exploitation du futur oléoduc, et l’État français détient une part assez faible dans l’actionnariat de la multinationale, depuis 1992. Pourtant, le président Emmanuel Macron semble être un VRP de Total lors de ses voyages en Afrique. Et si Paris ne veut pas dénoncer un projet mené par TotalEnergies, c’est en partie parce que les contrats entre les pays africains et la multinationale servent les intérêts de la France.
Une « opportunité majeure » pour la coopération entre Paris et Kampala
Au printemps 2021, alors que le président ougandais était réélu, Emmanuel Macron lui envoyait un courrier de félicitation et lui rappelait l’importance du projet d’oléoduc EACOP. Ce dernier, écrivait Macron, est une « opportunité majeure (…) pour étendre la coopération » entre Kampala et Paris.
En octobre 2021, l’ONG Les amis de la Terre sortait une enquête qui révélait « les stratégies d’influence déployées par Total pour s’assurer le soutien des autorités françaises dans le développement de son méga-projet pétrolier en Ouganda ». L’ONG déplorait par exemple que « Total sponsorise une grande partie » des événements de « l’ambassade de France en Ouganda », qui participait « ainsi au greenwashing de la multinationale, lui donnant une image respectable auprès du grand public ».
Difficile après cela de dénoncer un méga-projet, aussi mauvais pour la planète et pour les populations locales soit-il. Plus généralement « le groupe défend ses intérêts économiques auprès des décideurs, en faisant miroiter revenus, emplois ou prestige pour l’État français », poursuit l’ONG qui estime que « le soutien apporté à Total par toutes les branches de l’État français — depuis le palais de l’Élysée à Paris jusqu’à l’ambassade et à l’Alliance française à Kampala — est en contradiction flagrante avec les engagements et les valeurs que la France prétend défendre ».
« Il ne nous appartient pas d’interdire des investissements à l’étranger »
Même si, en septembre 2022, le Parlement européen a dénoncé le méga-projet et ses conséquences pour la planète, pas question pour la France de désavouer Total. Interrogé sur les relations entre la multinationale et le gouvernement français, le ministre Olivier Becht l’assure : « La question est de savoir si nous l’accompagnons financièrement. La réponse est non. Ensuite, nous sommes dans un pays, en France, de libertés où les entreprises, notamment qui sont des groupes mondiaux, continuent à faire leurs investissements. Il ne nous appartient pas d’interdire des investissements, notamment lorsqu’ils sont faits à l’étranger ».
Une tentative de désolidarisation qui ne tient pas forcément la route, lorsque le ministre poursuit : « Il ne m’appartient pas de donner ni un soutien politique ni un carton rouge politique à une entreprise ». Car le contrat signé par total pour le projet d’EACOP a forcément reçu un soutien de la part de la France, même informel.