Malgré quelques initiatives, la science ouverte n’en est encore qu’à ses débuts en Afrique francophone. La Covid-19 a montré l’intérêt de rendre accessibles les données pour aider à la prise de décisions. Les États sont appelés à jouer un grand rôle dans l’encouragement de la science ouverte sur le continent.
Du 25 au 27 octobre 2022, plus de 150 participants de 21 nationalités dont 46% de chercheurs et 20% de doctorants ont participé à Cotonou (Bénin) à un colloque international sur le thème : « Science ouverte au Sud. Gestion et ouverture des données de la recherche : Panorama et perspectives en Afrique ».
Organisé par l’IRD[1], l’ANSALB[2] et le CIRAD[3], ce colloque avait pour objectif de dresser un panorama d’approches en matière de gestion et d’ouverture des données de la recherche en Afrique, particulièrement en Afrique francophone.
« La science ouverte est l’accès, le partage, la diffusion des données de recherche, pas seulement aux professionnels de la recherche, mais aussi aux ONG, à la société civile, aux citoyens… afin de les réutiliser pour le bénéfice à la population », définit Mamadou Diallo, coordonnateur scientifique du Groupe de recherche opérationnelle plateforme OMS COVID pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Lorsqu’on parle de partage et d’accessibilité des données de recherche, il faut considérer trois niveaux principaux, complète Philippe Laleye, directeur du Laboratoire d’hydrobiologie et d’aquaculture à l’université d’Abomey-Calavi au Bénin.
Selon sa description, le premier niveau concerne la gestion et le partage des données de recherche au sein de la communauté scientifique.
Le deuxième niveau concerne le partage et la diffusion des données de recherche avec ou vers les politiques ou les diplomates, afin qu’elles soient des outils de prise de décision politique.
Le troisième niveau correspond à la diffusion des connaissances scientifiques vers la population et les non-initiés afin que les données scientifiques améliorent leur vie quotidienne.
Le colloque, à travers ses sessions plénières et ses ateliers en parallèle, a permis aux participants de dresser un état des lieux de la science ouverte au Sud.
« En Afrique, il y a plusieurs projets de science ouverte. Les initiatives sont là, mais l’accès aux données, le partage et la diffusion posent problème », diagnostique Mamadou Diallo.
Pour Reine Lucie Michelle, chercheure en élevage au département de recherches zootechnique et vétérinaire de l’université d’Antananarivo à Madagascar, « en Afrique, les chercheurs ont des hésitations pour partager leurs données de recherche à cause de la peur qu’on prenne leurs données et qu’on les exploite avant qu’ils ne les publient ».
Pourtant des exemples illustrant l’apport de la science ouverte au développement socioéconomique existent.
Le généticien Ndijdo Kane, chercheur à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA), s’appuie par exemple sur le cas de la COVID-19 qui, à ses yeux, a entraîné un renfort de la science ouverte autour de la pandémie, avec des solutions et le développement de vaccins.
« Cela veut dire que la science peut apporter des solutions qui répondent aux défis de la société mais également au développement économique et social des populations », dit-il.
Essais cliniques
L’autre exemple, suggéré par Mamadou Diallo, est l’exploitation des données de recherche agricole sur la pluviométrie pour améliorer les rendements des producteurs et leur résilience aux bouleversements climatiques.
Le chercheur insiste sur le fait que les données sur la santé dans le cadre des essais cliniques ont besoin d’être partagées. Et si ce sont des données cliniques par exemple, dit-il, cela permet à d’autres cliniciens de les exploiter pour faciliter le traitement et le faire à moindre coût.
« Nous faisons face à d’importants défis au niveau international pour lesquels la science a des solutions. Les sciences ouvertes peuvent contribuer positivement à apporter des solutions concrètes pour améliorer les conditions de vie des populations », martèle Ndijdo Kane.
Malgré ces avantages, les participants à ce colloque constatent que la science ouverte au sud reste à développer, et en particulier en Afrique francophone où « elle balbutie encore ».
Ils ont alors suggéré à la communauté scientifique de collecter des données et de les mettre à la disposition de tout le monde sans que l’on ait à payer ou à payer cher. Ils entendent libérer des données via des plateformes accessibles sans avoir un niveau intellectuel élevé.
« Il y a beaucoup d’initiatives qui ont été enclenchées pour lancer ce mouvement de science ouverte comme la Plateforme africaine sur la science ouverte ou encore le réseau Wacren[4] qui est le réseau professionnel des chercheurs en Afrique de l’Ouest », indique Ndijdo Kane.
A en croire ce dernier, ces réseaux permettent de commencer la réflexion pour rendre la science beaucoup plus ouverte aux populations.
Amsatou Touré, gestionnaire de données au Burkina Faso va même plus loin en plaidant pour la mise des données à la disposition du citoyen lambda et des personnes qui n’ont rien à voir avec la science.
Dans cette mouvance, « il faut que les gouvernements encouragent et financent la science ouverte, sensibilisent les chercheurs et œuvrent à la création de plateformes de facilitation des échanges entre les différentes institutions universitaires régionales », affirme Mamadou Diallo.
[1] Institut de recherche pour le développement
[2] Académie nationale des sciences, arts et lettres du Bénin
[3] Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement
[4] West and Central African Research and Education Network (Réseau pour la recherche et l’éducation en Afrique de l’ouest et du centre).
Cet article a été publié sur la version française de Sci Dev Net et est publié avec leur autorisation.