Ce mardi, une tentative des forces de Fathi Bachagha et Khalifa Haftar de prendre la capitale de la Libye, Tripoli, a échoué. Le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah avait-il finalement raison en refusant de céder le pouvoir ?
Depuis la nomination, par le parlement de l’Est, du « nouveau » Premier ministre libyen Fathi Bachagha, c’est une véritable guerre d’influence qui a éclaté entre ce dernier et le Premier ministre en poste, Abdel Hamid Dbeibah. Ce mardi 17 mai, des forces loyales à Fathi Bachagha et à l’homme fort de l’Est, Khalifa Haftar, ont tenté de s’introduire dans la capitale libyenne Tripoli. Des combats s’en sont suivis entre la brigade Nawasi, appuyée par les soldats de l’Armée nationale libyenne (ANL) d’un côté, et la Brigade 444 et les forces gouvernementales de l’autre.
Les forces de l’Est ont subi une défaite cuisante, annonçant leur retrait quelques heures après le début de l’assaut. De son côté, Fathi Bachagha a annoncé qu’il se retirait « afin de préserver la sécurité des citoyens ». Bilan : des dizaines de morts, des voitures calcinées et des bâtiments endommagés.
Clashes erupted in Libya’s capital after a failed attempt by the parliament-appointed prime minister Fathi Bashagha to take power from his rival administration https://t.co/fnyi2rdOGy pic.twitter.com/OSk40k4Ln2
— Reuters (@Reuters) May 17, 2022
Pourtant, Fathi Bachagha avait promis, lors de sa nomination, d’obtenir un consensus et d’éviter les violences. De son côté, Dbeibah a refusé de céder le pouvoir avant les élections, prévues en juin prochain. La diplomatie égyptienne — qui soutient Bachagha — a appelé au calme et à la retenue. Même chose du côté de la cheffe de la mission de l’ONU (Manul), Stephanie Williams.
Mauvaise préparation et défaite cuisante
Il ne fait pas de doute que cette tentative ratée de Bachagha de s’imposer entravera les pourparlers en cours entre les deux Premiers ministres libyens. Un dossier dans lequel de nombreux pays amis et voisins tentent d’être médiateurs.
Le discours de Fathi Bachagha et de ses alliés ressemble, de plus, à une tentative de sauver la face. Car malgré les spéculations des médias sur la puissance militaire du front de l’Est, les forces pro-Bachagha ont échoué à prendre la capitale. Si la dernière tentative de Haftar de prendre Tripoli par la force entre 2019 et 2020 — elle s’était aussi soldée par un échec — a donné lieu à une longue guerre, il semblerait bien que la perte par Haftar de ses alliés russes soit actée.
Autre fait important, après cette attaque de Bachagha et de ses alliés : les civils tripolitains sont sortis massivement dans les rues pour exprimer leur consternation. Dbeibah sort donc gagnant, en termes de popularité, de cet épisode.
L’attaque de Bachagha intervient alors que le parlement de l’Est (HoR) et le Sénat de l’Ouest (HCS) se réunissent au Caire pour le deuxième cycle de pourparlers supervisés par les Nations unies. Avec cet échec militaire, Bachagha perd des alliés précieux. Selon des sources du Journal de l’Afrique, les responsables libyens de la « cellule du Caire », notamment le cousin de Mouammar Kadhafi, Ahmed Kadhaf al-Dam, n’étaient pas au courant de l’attaque. Il en serait de même pour le chargé d’affaires russe en Libye, Jamshid Poltaev, selon un diplomate russe installé en Egypte.
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En d’autres termes, cet assaut de Bachagha et de Haftar aurait été décidé hâtivement et unilatéralement, sans même consulter l’Egypte, ni la Russie, même si cette dernière n’appuie plus Haftar depuis des mois.
Après la tempête
Justement, c’est la relation très intime entre les seigneurs de Benghazi et de Tobrouk, et l’Egypte, qui risquerait d’être endommagée par cette attaque sur la capitale. L’Egypte, malgré son soutien à Bachagha et Haftar, avait privilégié les discussions entre les belligérants, sous la pression de l’ONU, de l’Algérie et de la Turquie. Ces deux derniers tombent d’accord sur la « nécessité de redonner la parole au peuple libyen pour lui permettre de décider de son sort à travers des élections », selon le président algérien Abdelmadjid Tebboune.
L’intervention turque contre l’assaut de Bachagha ne fait pas de doute. La Brigade 444, qui était intervenue pour repousser les troupes de l’Est, mais qui s’est également positionnée comme médiatrice pour mettre fin aux combats, est entraînée, armée et appuyée par Ankara. Ce qui signifie que la Turquie s’est finalement rangée du côté de Dbeibah, et en faveur des élections en Libye.
Abdel Hamid Dbeibah a décidé, après la fin de l’attaque, de limoger le directeur de l’Agence de Sécurité (la gendarmerie), Mustafa Qaddur. Ce dernier, à peine nommé à son poste, était le chef de la milice qui a soutenu Bachagha lors de l’attaque, la brigade Nawasi.
Le Premier ministre libyen a promis que « de tels actes (l’attaque de Bachagha) seraient combattus avec vigueur ». Il a également décidé de limoger le directeur des renseignements militaires, Oussama Jouili. Ce dernier, réputé pour être très proche de la France, avait été nommé en décembre dernier. Des mercenaires tchadiens, sous ses ordres, auraient commis des actes de pillage pendant les affrontements de ce mardi.
A moins que les violences reprennent, donc, il semblerait bien que Bachagha n’ait plus aucune solution diplomatique à ses revendications à la primature. Il faudra donc attendre les élections législatives, dont Tripoli et la communauté internationale tenteront, quoi qu’il arrive, d’imposer les résultats.