En Tunisie, la plateforme électronique dédiée à la consultation référendaire nationale, E-istichara, est loin de convaincre. Moins de 5 % de la population a répondu aux questions de la présidence.
L’idée était séduisante. A son lancement, la plateforme E-istichara avait d’ailleurs attiré 45 000 Tunisiens lors des quatre premiers jours. L’objectif était alors de rendre le processus d’écriture de la Constitution populaire. Une initiative saluée par les sympathisants du président Kaïs Saïed au moment de son lancement en janvier. Tous voyaient là une possibilité de « recueillir les suggestions des citoyens concernant les réformes politiques » à venir.
Un peu plus de deux mois plus tard, c’est la Bérézina. Avec 451 000 participants, une partie de la presse tunisienne met en exergue le manque de représentativité de cette consultation en ligne. Il faut dire qu’avec 12 millions d’habitants et une population connectée, pour plus de la moitié, à internet, les statistiques d’E-istichara semblent bien faibles.
L’incapacité du régime et de ses fans zélés à reconnaître l’échec de la consultation alors que 95% des Tunisiens n’y ont pas répondu est pour moi la chose la plus terrifiante depuis le 25/7. Il s’agit d’un échec chiffré et clair.
— Papillon (@Papiillon) March 18, 2022
A quoi est dû le désintérêt du peuple tunisien pour cette consultation en ligne ? Outre des problèmes, relevés dès son lancement, d’analphabétisme qui concernent près de 2 millions de Tunisiens, l’opposition politique estime que les populations sont aujourd’hui loin de vouloir participer à la vie publique de leur pays.
Les Tunisiens sont-ils encore intéressés par la politique ?
Le manque de participation à la plateforme serait dû à « l’apathie politique générale, et aux legs du régime semi-parlementaire en place depuis 2011 », nous confie une source gouvernementale, qui ajoute que les Tunisiens sont aujourd’hui « dégoutés de la politique ».
Lire : Tunisie : quels sont les enjeux de la consultation nationale ?
Pour la société civile, le constat est différent. La militante de l’Association tunisienne des femmes démocrates, Yosra Frawes, dénonce par exemple l’instrumentalisation par le président tunisien Kaïs Saïed du cadre légal qui lui avait permis, le 25 juillet dernier, de s’accaparer tous les pouvoirs.
« On nous a d’abord vendu l’idée selon laquelle le péril imminent était la situation sanitaire. Ensuite il s’est avéré que le péril imminent était les Frères musulmans, leur mainmise sur l’Etat, et l’impossibilité de débattre au Parlement. Mais on a commencé à comprendre par la suite que le péril imminent, c’est le pouvoir judiciaire : c’est comme cela qu’a été dissout le Conseil supérieur de la magistrature. Mais en fait non, le péril imminent, ce sont les associations : une loi est en préparation pour encadrer leur financement et la société civile. Demain le péril imminent ce sera à n’en pas douter les médias. Plus tard, le péril imminent, ce sera peut-être le peuple tunisien lui-même… », confie-t-elle au Courrier de l’Atlas.
Cette consultation nationale était-elle utile ?
Si la consultation électronique nationale en Tunisie partait d’une belle initiative, qui consiste à faire participer le peuple au prochain référendum, elle a surtout, et ce depuis ses débuts, été épinglée car inaccessible pour près de la moitié de la population. En effet, 45 % des Tunisiens n’ont pas accès à internet, selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
Une consultation qui a également été fustigée à cause des risques pour la sécurité des données. L’ONG I-Watch assurait, à son lancement, que le site d’E-istichara siphonnait les métadonnées des utilisateurs. De quoi remettre en question la transparence des résultats et faire craindre une atteinte aux données personnelles des sondés.
De quoi interroger sur un point : la plateforme E-istichara était-elle vraiment indispensable ? Pour le journaliste Seif Soudani, « le pouvoir tunisien n’a pas réellement besoin de cet alibi pour légitimer son agenda ». En effet, le président tunisien Kaïs Saïed avait en main tous les pouvoirs de l’Etat et peut se targuer d’être très populaire en Tunisie. En lançant E-istichara, la présidence tunisienne a pris un risque, celui de voir son initiative faire un flop.
Tensions politiques autour d’un futur référendum
La plateforme E-istichara conclut théoriquement ses travaux ce dimanche 20 mars. Le 25 juillet prochain, au moment du premier anniversaire de la prise de pleins pouvoirs par le président Kaïs Saïed, le référendum constitutionnel aura lieu sur la base des réponses des personnes sondées par E-istichara.
Le ministère des Télécommunications a aussi précisé la possibilité, pour les Tunisiens, de donner leur avis dans les commissions locales installées dans les 24 gouvernorats du pays. Une solution pour ceux qui se sont trouvés dans l’impossibilité d’utiliser la plateforme électronique. Là encore, pas sûr que la mobilisation soit au rendez-vous.
Le fiasco annoncé de la consultation nationale fera forcément le jeu des opposants au chef de l’Etat tunisien, qui rejetteront de facto le processus référendaire. L’opposition signale, en l’occurrence, les procès militaires de plusieurs personnalités de l’opposition, d’élus et de militants de la société civile, pour des accusations telles que le délit d’offense au chef de l’Etat ou d’atteinte à la sûreté de l’Etat.
Du côté de l’opposition, dont certains membres dénoncent une dérive autoritaire de la part de Kaïs Saïed, E-istichara ne suffira pas à rassurer. Un opposant ironise d’ailleurs : « Il fallait s’en douter en voyant le slogan d’E-istichara, à son lancement ». En effet, sur la page d’accueil du portail de la consultation nationale, on peut lire ce slogan : « Votre opinion, notre décision ».