Alors que se déroule, en Côte d’Ivoire, l’exercice militaire américain Flintlock 2022, plusieurs recherches montrent qu’une majorité des meneurs de coups d’Etat militaires en Afrique ont été entrainés par les Etats-Unis.
Mohamed Ould Abdel Aziz, Yahya Jammeh, Gilbert Diendéré, Isaac Zida, Amadou Sanogo, Khalifa Haftar, Abdel Fattah al-Sissi… mais également Mamady Doumbouya, Assimi Goïta, Paul-Henri Damiba. Tous ces militaires, qui ont mené des coups d’Etat en Afrique, ont un point commun : il s’agissait d’officiers ayant participé à au moins une formation conjointe en échange combiné (JCET) américaine. Certains ont même suivi un entrainement militaire américain complet.
Pour les adeptes des théories du complot, le lien de cause à effet est rapidement établi. Sur les 43 coups d’Etat militaires qui se sont déroulés en Afrique, qu’ils soient ratés ou réussis, 37 ont été menés par des militaires formés par les États-Unis ou sur le sol américain. Seules exceptions, Mahamat Déby au Tchad, François Bozizé en République centrafricaine (RCA), et Pamphile Zomahoun au Bénin, formés en France.
Alors que la paranoïa envahit les esprits des dirigeants africains après une année placée sous le signe des coups d’Etat, le nouvel exercice antiterroriste Flintlock 2022 est donc forcément scruté par les dirigeants.
Pour le think-tank Rand Corporation, selon une étude en 2018, il y a « des doutes que la formation militaire américaine engendre des putschistes ». Pour le militaire américain Jonathan Caverley, qui a analysé des données entre 1970 et 2009, il y aurait « une relation solide entre la formation américaine de militaires étrangers et les tentatives de coup d’Etat militaires ».
Flintlock, le mystérieux exercice militaire américain
Cette année, c’est en Côte d’Ivoire que l’exercice américain Flintlock a lieu. Créé en 1968, le programme se déroulait, pendant une vingtaine d’année, en Europe. Ce n’est qu’en 1999 que Flintlock s’est tenu pour la première fois en Afrique, en Côte d’Ivoire.
Depuis 2005, l’exercice militaire a pris le format qu’on lui connait aujourd’hui, à savoir quatre sous-exercices qui se déroulent dans des pays africains différents, suivis par un exercice conjoint pour clôturer la formation. Le dernier exercice comporte un entrainement tactique en médecine militaire, droit de la guerre, gestion des unités spécialisées et… démocratie et droits de l’homme.
En réalité, l’exercice Flintlock est précédé par des mois de formation pour les officiers qui y participent. Il s’agit souvent des éléments les plus prometteurs des armées africaines, souvent jeunes. Et depuis 2015, il s’agit exclusivement des commandants de terrain des unités commando qui ont fait leurs preuves.
Ensuite, c’est Africom qui sélectionne les participants, avec l’aide du département d’Etat américain. Une procédure obligatoire selon la Loi Leathy, afin d’éviter de « soutenir les gouvernements se livrant à un schéma constant de violations flagrantes des droits de l’homme internationalement reconnus ». Mais concrètement, il s’agit juste de vérifier que les militaires africains entrainés ne soient pas accusés de crimes de guerre.
Cette année, l’exercice militaire qui se termine le 28 février concernera 400 officiers du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Ghana et du Niger. Evidemment, les soldats burkinabés, maliens et guinéens n’ont pas été invités. Pourtant, depuis 2015, le Burkina Faso et le Mali ont participé chaque année à l’exercice Flintlock.
Une histoire de démocratie… et de droits de l’homme
Des pays qui semblent exclus sur fond de différends diplomatiques avec l’Occident, à la suite des coups d’Etat dans la région ouest-africaine. Pourtant, les meneurs desdits coups d’Etat avaient tous participé à l’exercice Flintlock par le passé.
Mais il s’agit surtout, pour l’armée américaine, d’atténuer les critiques qui accompagnent le lancement de Flintlock chaque année. « Lorsque les Etats-Unis donnent la priorité à la formation militaire, nous négligeons les objectifs à plus long terme qui pourraient créer des gouvernements plus stables », estime Lauren Woods, directrice de l’ONG Center for International Policy. « Nous avons besoin de plus de transparence et d’un débat public sur la formation militaire étrangère que nous dispensons. Et nous devons faire un bien meilleur travail en pensant aux risques à long terme – y compris les coups d’État et les abus par les forces que nous formons », a déclaré la militante américaine.
L’armée américaine nie, pour sa part, que sa formation encourage la dissidence chez les militaires africains. « La formation militaire comprend régulièrement des modules sur le droit des conflits armés, l’assujettissement au contrôle civil et le respect des droits de l’homme », a déclaré début février la porte-parole d’Africom, Kelly Cahalan. « Les coups d’Etat militaires sont incompatibles avec la formation et l’éducation militaires américaines », insiste Cahalan.
Un constat que les statistiques infirment, tout autant que le profil des auteurs des coups d’Etat récents en Afrique. Même si, en réalité, des motifs politiques et sociaux plus objectifs existent pour ces putschs.
Une formation des putschistes de plus en plus aboutie ?
Le président de la transition du Burkina Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, n’est que le dernier en date d’un carrousel de putschistes formés par l’armée américaine. Selon une analyse du magasine d’investigation The Intercept, des officiers formés aux Etats-Unis ont tenté 9 coups d’Etat dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest depuis 2008, dont huit ont abouti.
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Mis à part Damiba au Burkina Faso, le chef d’Etat guinéen, Mamady Doumbouya, formé par la Légion Etrangère française, avait été – en compagnie de son unité – formé par les Bérets verts américains, arrivés en Guinée uniquement pour cette raison. Depuis son ascension à la tête du Groupement des forces spéciales (GFS) en 2018, Doumbouya a joui d’un traitement de faveur de la part de l’armée américaine.
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Le président de la transition malienne, Assimi Goïta, a participé à deux exercices Flintlock au moins. Il avait, en 2020, reçu une formation militaire sur la base aérienne MacDill en Floride, aux Etats-Unis.
Un contexte qui ne date pas d’hier…
Dans le cas du Mali, Goïta n’est même pas le premier officier formé aux Etats-Unis à renverser le gouvernement. Amadou Sanogo avait en 2012 mené le coup d’Etat contre Amadou Toumani Touré. Sanogo déclarait alors : « Les Etats-Unis sont un grand pays avec une armée fantastique. J’ai essayé de mettre en pratique ici (au Mali, ndlr) tout ce que j’ai appris là-bas ». Il faut rappeler qu’Amadou Sanogo avait fait 6 ans de formation militaire au Texas – il y a notamment appris l’anglais – suivie d’une formation dans les renseignements en Arizona et une dernière, d’officier, en Géorgie. Il a donc passé sept ans de sa vie à arpenter les Etats-Unis.
En 2014, au Burkina Faso, c’était le colonel Isaac Zida, de retour des Etats-Unis après deux ans de formation antiterroriste en Floride, et un exercice Flintlock, qui avait été placé par Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré à la primature, en pleine vague de manifestations contre le régime Compaoré. Après le départ de ce dernier, Zida s’est autoproclamé président de la transition, le temps d’être remplacé par Michel Kafando.
L’année suivante, le général Gilbert Diendéré, chevalier de la Légion d’honneur française, et l’un des piliers de l’exercice Flintlock pendant des années, a tenté de renverser Kafando. Après six jours d’affrontements, sa tentative de putsch a échoué. Diendéré avait, également, impliqué clandestinement des militaires burkinabés dans les guerres civiles du Libéria et de la Sierra Leone, ainsi que dans la crise ivoirienne en 2002. Il purge actuellement 20 ans de prison, et est accusé d’avoir participé à l’assassinat de Thomas Sankara, risquant donc deux décennies supplémentaires d’emprisonnement.
…ni d’avant-hier, d’ailleurs
En 2008, après le putsch en Mauritanie, qui a fait tomber le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, un militaire proche des Etats-Unis a démarré une dictature qui a duré dix ans : Mohamed Ould Abdel Aziz. A l’avènement du coup d’Etat, l’agence médiatique de l’armée américaine, Stars ans Stripes, révélait qu’Abdel Aziz « a travaillé avec les forces américaines qui s’entrainaient en Mauritanie ». Une révélation confirmée par les sessions de formation de son unité, le Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP), dont les membres ont tous été formés aux Etats-Unis.
En 2014, c’est le clash des putschistes « made in USA » qui a eu lieu en Gambie. En effet, alors que Yahya Jammeh, formé à Fort Benning au début des années 1990 avant de mener un putsch en 1994, était en déplacement à l’étranger, le régime du dictateur gambien a subi une tentative de coup d’Etat. A l’origine du putsch raté, le capitaine Lamine Sanneh, formé à la National Defense University (NDU), à Washington.
Pour l’ancien professeur de Sanneh, Jeffrey Meiser, le séjour américain du militaire aurait influé ses choix. « Je pense que son éducation aux Etats-Unis a influencé ses actions. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si l’endoctrinement de nos étudiants étrangers par les ‘valeurs américaines’ est finalement contreproductif et anéthique », estime Meiser.
En Egypte, le président Abdel Fattah al-Sissi, avant de destituer le président Mohamed Morsi, avait suivi sa première formation militaire à Fort Benning dans le sud américain, il a aussi passé plus d’un an au United States Army War College, une institution américaine qui n’accepte jamais plus d’une dizaine d’étrangers par an.