Dans la soirée du mardi, le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, a fait sa première déclaration après la tentative de coup d’Etat déjouée.
C’était à 19 heures, heure de Bissau, que le président Umaro Sissoco Embaló s’est manifesté hier, mardi 1e février, mettant fin à la confusion de la journée. « Le calme revient à Bissau ! », a simplement déclaré Embaló sur son compte Facebook, avant de donner plus de détails quelques minutes plus tard sur son compte Twitter.
Une heure plus tard, Umaro Sissoco Embaló a tenu une conférence de presse dans sa résidence. Il a déclaré qu’il a survécu, son gouvernement et lui, à une tentative de coup d’Etat. « Une attaque ratée contre la démocratie, un acte préparé et organisé », insiste le chef de l’Etat. Sans désigner les auteurs de la tentative de putsch, le président bissau-guinéen attribue cette tentative aux « décisions récentes » qu’il aurait prises « dans la lutte contre le narcotrafic et la corruption ». « Les assaillants auraient pu me parler, au lieu de provoquer ces évènements sanglants », regrette Umaro Sissoco Embaló.
Une précision apportée par le président de la Guinée-Bissau interpelle. Selon Embaló, les évènements de ce mardi seraient une tentative de « tuer le président de la République et tout le cabinet ».
Un coup d’Etat avorté en Guinée-Bissau
En effet, depuis le début d’après-midi, des tirs de mitraillettes et de lance-roquettes ont été entendus aux alentours du palais du gouvernement à Bissau. Des militaires cagoulés ont ensuite encerclé l’édifice, où Umaro Sissoco Embaló, son Premier ministre et leur gouvernement étaient en Conseil des ministres.
Des photos et des vidéos des affrontements ont circulé sur les réseaux sociaux, montrant notamment la garde rapprochée du président, dont plusieurs membres ont été détenus par les assaillants, et d’autres tués lors des affrontements. Puis, c’était au tour des rumeurs sur la détention du président et du Premier ministre.
Ce qui est certain, c’est qu’une grande partie de l’armée est intervenue dès qu’elle a eu vent de l’attaque, libérant le Premier ministre Nuno Gomes Nabiam, probablement le président Umaro Sissoco Embaló aussi, même s’il n’admet pas avoir été détenu.
Quoi qu’il en soit, ce coup d’Etat avorté faisait craindre le pire, notamment en raison de la situation des pays voisins – des coups d’Etat ont renversé les présidents de trois pays de la sous-région ces derniers mois. Mais également en raison de l’histoire du pays. En Guinée Bissau, hormis le prédécesseur d’Umaro Sissoco Embaló, José Mário Vaz, aucun président n’a fini son mandat sans être renversé.
Umaro Sissoco Embaló, l’homme au keffieh
Embaló, un général de brigade réserviste de 49 ans, et ancien Premier ministre, a pris ses fonctions en février 2020. Il avait remporté l’élection haut la main après quatre ans de luttes intestines dans le pays.
Umaro Sissoco Embaló est le seul chef d’Etat du pays à avoir été élu d’une manière indubitablement démocratique. Le président bissau-guinéen jouit d’une grande popularité, en raison de son franc-parler, sa relative jeunesse, et pour avoir réussi à mettre un coup d’arrêt à l’hégémonie politique du parti unique du pouvoir, le PAIGC – le parti historique d’Amilcar Cabral.
Lors des évènements de ce mardi, donc, les internautes, bissau-guinéens et ouest-africains en général, ont dénoncé la tentative de coup d’Etat sur les réseaux sociaux. Du côté des instances internationales, la tendance était également à la dénonciation, bien que ce soit pour d’autres raisons. La Cedeao a émis, en fin d’après-midi, un communiqué.
Du côté des Nations unies, le secrétaire général Antonio Guterres a appelé à la fin immédiate des combats, et au « plein respect des institutions démocratiques du pays ». Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a signé une déclaration affirmant qu’il « suit avec grande inquiétude la situation en Guinée-Bissau ».
Des positions louables, bien que prises par défaut, des instances internationales. En effet, Umaro Sissoco Embaló est généralement « un dissident » parmi ses pairs, notamment de la Cedeao, qu’il qualifie de « syndicat des chefs d’Etat ».
Des problèmes en Guinée-Bissau
La tentative de coup d’Etat en Guinée-bissau intervient peu de temps après un remaniement ministériel polémique, annoncé le 26 janvier. Parmi les malheureux dudit remaniement ministériel, l’ancien secrétaire d’Etat de l’Ordre public, Alfredo Malu.
Umaro Sissoco Embaló a également insinué que certains étaient mécontents des dernières mesures visant à freiner le narcotrafic dans le pays. La Guinée-Bissau est, en effet, considérée comme un point de transit pour le trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe depuis le début des années 2000. Les trafiquants profitent généralement de la corruption et l’hégémonie de l’armée. La Guinée-Bissau a subi quatre coups d’Etat militaires depuis son indépendance en 1974, le dernier en 2012.
Pour certains, le contexte actuel dans les pays voisins aurait également contribué à cette tentative de coup d’Etat. Eric Humphrey-Smith, analyste chez Verisk Maplecroft, a déclaré : « il semble de plus en plus difficile d’argumenter contre l’idée de ‘contagion de coups d’Etat ». « En plus des coups d’Etat réussis au Mali, au Burkina Faso, en Guinée… il ne fait aucun doute que les dirigeants ouest-africains sont nerveux aujourd’hui », explique le spécialiste.
Pour le Centre de maintien de la paix Kofi Annan (KAIPTC), la Guinée-Bissau est, depuis des décennies, « un Etat fragile ». « Au cours de la dernière décennie, peu de choses ont changé, la corruption est toujours endémique, le chômage rampant, la qualité de l’éducation douteuse. La population du pays a aussi augmenté de façon spectaculaire. Tout cela a créé de la frustration », a déclaré Emmanuel Kwesi Aning du KAIPTC.