En Libye, la Haute Commission électorale (HNEC) a finalement annoncé le report de l’élection présidentielle, désormais prévue dans un mois. Ce délai sera-t-il suffisant pour régler tous les problèmes inhérents à la tenue du scrutin ?
Il était temps ! Dans la soirée du mercredi 22 décembre, à moins de deux jours de la date théorique de l’élection présidentielle en Libye, la HNEC a finalement annoncé le report du scrutin. Une décision prise par le groupe parlementaire bicaméral pour l’organisation des élections, qui s’est réuni mercredi pour délibérer définitivement sur ce qui était devenu une évidence pour tous.
« Après consultation des rapports techniques, judiciaires et sécuritaires, nous vous informons de l’impossibilité de tenir les élections à la date du 24 décembre 2021 », lit-on dans une lettre du chef du comité parlementaire pour la surveillance de l’élection, Hadi al-Saghir, adressée au président de la HNEC, Imad Sayah.
La suspension du processus électoral soutenu par l’ONU était attendu depuis plusieurs semaines, sur fond de disputes incessantes. En cause, notamment, l’application de la loi électorale et l’éligibilité de plusieurs candidats pourtant controversés. Ce report survient après des mois de préparatifs et de négociations, mais également d’affrontements dans les villes libyennes. Lors des différentes tractations, de nouvelles alliances politiques se sont formées.
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Si, d’un côté, les médias libyens de tous bords s’accordent à dire que les candidatures de Saïf al-Islam Kadhafi, de Khalifa Haftar et d’Abdel Hamid Dbeibah étaient les principales sources de tensions, l’ONU ne change pas son fusil d’épaule : « La mobilisation actuelle de forces affiliées à différents groupes crée des tensions et augmente le risque d’affrontements qui pourraient dégénérer en conflit », a simplement déclaré la MANUL dans un communiqué hier. Les Nations unies minimisent ainsi l’échec de Stephanie Williams et de ses nombreux prédécesseurs, rejetant la faute sur les factions armées.
Et après ?
La chambre des représentants (HOR), dont le chef Aguila Salah Issa avait unilatéralement promulgué la loi électorale en septembre dernier, sera donc chargée de résoudre tous les problèmes inhérents à cette élection en seulement un mois.
Des délais d’ores et déjà intenables, d’autant que la même chambre basse du parlement sera également chargée de mettre en place un cadre de gouvernance. Il faut rappeler que le chef de la commission parlementaire pour les élections, Hadi al-Saghir, avait préalablement annoncé que le gouvernement d’Abdel Hamid Dbeibah (GNU) ne serait pas prolongé au-delà du 24 décembre.
« Nous ne négocierons pas avec les représentants des Nations unies sur cette question. La présidence restera telle quelle, comme il est prévu par la loi, mais le gouvernement ne sera pas reconduit après le 24 décembre », avait déclaré al-Saghir la semaine dernière.
Pour résoudre la problématique urgente qu’est le maintien d’un gouvernement, la HOR a formé un comité de dix membres, qui seront chargés de préparer une feuille de route à présenter avant jeudi prochain. La décision est intervenue quelques heures après l’annonce du report des élections par la HNEC.
Toutefois, en ce qui concerne l’élection présidentielle, les semaines passées ont montré la complexité du dossier : il faudra bien plus qu’un simple report pour espérer l’organisation d’un vrai scrutin dans les délais imposés par l’Occident.
Y a-t-il un Etat en Libye ?
Un rapport, publié ce mercredi par l’ONG Amnesty International, dénonce le « climat de répression » qui a entouré les derniers mois en Libye. L’ONG confirme les enlèvements d’activistes, les attaques des milices sur les représentants de l’Etat, les agressions contre des journalistes… Il faut aussi rappeler les nombreuses attaques de tribunaux, les coupures d’eau qui ont duré des semaines, les assauts sur les installations d’électricité en Libye, le siège qu’a subi la Primature du GNU à Tripoli avant-hier… des signes qui montrent une absence totale de l’Etat.
Lundi, sur BBC, l’ancien conseiller du Secrétaire général des Nations unies, le Marocain Jamal Benomar, affirmait justement que « le problème en Libye est qu’il n’y a pas d’Etat » et non pas « la tenue, en urgence, d’élections précipitées ».
Si l’on en croit les sondages, les Libyens sont à 67 % favorables à la tenue d’élections. Mais paradoxalement, l’élection ne « résoudrait pas les problèmes immédiats des Libyens », assure Benomar.
Faut-il alors redémarrer le processus d’alliance militaire entre les factions armées — la commission 5+5 — et imposer à ces dernières qu’elles acceptent de s’en tenir aux résultats des urnes, en amont ? En imposant une date prématurée à l’élection présidentielle, les puissances étrangères ont provoqué un retard dans cette recherche de consensus. Un point, d’ailleurs, soulevé par le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, lors du Sommet des voisins de la Libye, et répété maintes fois par les diplomaties africaines.
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Quel bouc-émissaire pour janvier ?
Autre problème, qui a agité ces derniers mois : la présence des forces étrangères. Une simple question de perspective ? Pour les Occidentaux, ce sont les instructeurs militaires turcs et les paramilitaires russes qui devraient se retirer pour que la Libye devienne, soudainement, un pays paisible. Vladimir Poutine, lui, considérait l’intervention de l’OTAN en Libye de « croisade » médiévale. Quant à Recep Tayyip Erdoğan, les mêmes Nations unies, qui réclament aujourd’hui que ses troupes laissent l’ouest libyen à son sort, étaient les mêmes qui avaient fourni à Ankara son mandat d’intervenir en Libye. Et du côté des pays arabes, en particulier le Qatar et les Emirats arabes unis, la guerre diplomatique dessert les intérêts libyens.
Malgré tout, les armes continuent d’affluer dans le pays, qui compte déjà 15 millions d’armes de guerre pour 7 millions d’habitants.
Sous la pression européenne — surtout française et allemande — et américaine, le report de l’élection sera donc de courte durée. Mais tous les observateurs le savent, un mois ne sera pas suffisant pour mettre en place un gouvernement, élucider le casse-tête des candidatures illégales et remplacer les fiches électorales (dont des milliers ont été volés par les milices dans les bureaux de la HNEC), entre autres.
Selon le chef du parti de la coopération nationale, Ahmed Mohammed al-Jedk, la HNEC et le parlement « assument entièrement la responsabilité de ce fiasco électoral ». Pour l’homme politique, « fixer une nouvelle date pour l’élection n’est rien d’autre qu’une tentative de fuite en avant, laissant derrière elle l’embarras et créant une nouvelle opportunité de conflit ».