Alors que plusieurs candidatures viennent d’être validées par la Haute commission électorale nationale, à un mois de la présidentielle libyenne, celle de Saïf al-Islam Kadhafi a été rejetée. De façon illégale, selon des documents confidentiels que le Journal de l’Afrique a pu se procurer.
C’est une véritable bataille pré-électorale qui a débuté en Libye. A un mois de la présidentielle, la Haute commission électorale nationale (HNEC) distribue les bons et les mauvais points. Alors que 73 candidatures ont été acceptées par l’institution électorale, un refus fait particulièrement débat : parmi les 25 candidatures rejetées, le refus celle de Saïf al-Islam Kadhafi était particulièrement prévisible, après la demande du procureur de la cour militaire de Tripoli de suspendre le dossier du fils de l’ex-Guide de la révolution en Libye, Mouammar Kadhafi.
En mettant la pression sur la HNEC, Tripoli a donc réussi son coup. Saïf al-Islam Kadhafi ne pourra en effet pas prendre part à l’élection présidentielle prévue le 24 décembre prochain. Au-delà des violences que cela pourrait engendrer, la décision de la HNEC fait débat.
Car l’instance électorale a validé 73 candidatures, parmi lesquelles celles de plusieurs personnalités qui, selon la loi électorale, ne pouvaient pourtant pas se présenter. Ainsi, d’après les documents de la HNEC, le Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah, le chef du parlement de Toubrouk, Aguila Salah Issa, le ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, ou encore le chef autoproclamé de l’est libyen, Khalifa Haftar, seront tous bel et bien candidats. Tous auraient pourtant dû, à en croire les textes, démissionner de leurs fonctions il y a plusieurs semaines déjà. De plus, des candidatures de femmes ont été acceptées alors que la loi électorale leur interdit de se présenter.
Et alors que le procureur de la cour militaire de Tripoli avait demandé que le dossier du maréchal Haftar soit lui aussi rejeté, ce dernier a finalement été accepté. Alors pourquoi Kadhafi est-il privé d’élection, contrairement au maréchal de l’est libyen ? La HNEC avance, pour justifier sa décision, les articles 10 et 17 de la loi électorale, qui interdisent la candidature de personnes condamnées pour « un délit ou un crime contre l’honneur ». Auteur de nombreux crimes, Haftar semble être passé entre les mailles du filet.
Kadhafi et son casier judiciaire vierge
Le rejet de la candidature de Saïf al-Islam Kadhafi, qui aurait déposé un recours, surprend. D’abord parce que le cadre légal de l’élection n’a été appliqué que pour régler le cas du fils de l’ancien président libyen. Ironie du sort, Aguila Salah, qui a unilatéralement promulgué la loi électorale, taillée sur mesure pour Haftar, aurait lui-même dû voir sa candidature être rejetée.
Malgré l’illégalité de certains des 73 dossiers acceptés, reste à savoir de quoi Saïf al-Islam Kadhafi est accusé. Le Journal de l’Afrique a réussi à obtenir une copie du casier judiciaire du fils Kadhafi, que ce dernier a présenté au moment du dépôt de sa candidature. Un casier judiciaire vierge.
Comment expliquer cela, alors que la justice libyenne a condamné Saïf al-Islam Kadhafi à mort par contumace, alors qu’il était prisonnier de la brigade du Zenten, dont il est aujourd’hui le représentant officiel ?
Pour comprendre les raisons, il faut remonter à 2017. Le gouvernement de Tobrouk avait amnistié Saïf al-Islam Kadhafi. Et si Haftar peut aujourd’hui se targuer d’une innocence toute relative en Libye, concernant d’éventuels crimes, c’est parce que le maréchal a lui aussi profité de cette amnistie. Cependant, pour le maréchal, il a fallu une intervention politique pour que son casier judiciaire devienne vierge, tandis que pour Kadhafi, il s’agit de la conclusion de pourparlers engagés en 2016.
Un refus, et après ?
En ce qui concerne les quatre candidats majeurs, dont les candidatures ont été validées par la HNEC, doit-on s’attendre à une bataille redoutable entre Dbeibah et Bachagha, du côté de Tripoli, et Haftar et Salah, du côté de l’est libyen ? En tout cas, la publication, par la Haute commission électorale nationale, des candidats à la présidentielle inquiète. « L’élection est celle de tous les dangers, et le rejet de la candidature de Kadhafi risque de provoquer de gros troubles électoraux », prédit un observateur. La démission du représentant de l’ONU Ján Kubiš montre que l’Organisation des Nations unies (ONU) est en train de perdre pied en Libye, alors qu’elle comptait piloter le processus électoral.
Une démission symbolique, qui montre une chose : la communauté internationale est devenue spectatrice impuissante, là où elle voulait jouer un rôle clé. Après avoir bousculé la diplomatie africaine pour assurer la tenue des élections à la date du 24 décembre, Ján Kubiš sait que la liste publiée par la HNEC est problématique : si l’un des représentants tripolitains sort vainqueur des urnes, Tripoli s’enflammera ; si Haftar remporte l’élection, le résultat n’a aucune chance d’être accepté par les rivaux du maréchal. Un problème insoluble, qui a provoqué la démission de l’émissaire onusien. La Libye sera, dans les jours à venir, livrée à elle-même.