Depuis mars dernier, la base militaire indienne d’Agaléga, au nord de Maurice, exacerbe les tensions. Malgré les preuves irréfutables, New Delhi et Port Louis nient la militarisation de l’île. Mais l’Inde aurait menti sur ce sujet.
« Island of Secrets ». Tel est le nom d’une investigation journalistique qui secoue l’opinion publique depuis le mois de mars dernier à Maurice. Selon le think-tank australien Lowy institute, la petite île d’Agaléga, dans le nord de Maurice, serait le terrain d’un chantier controversé : une base militaire indienne serait en effet en cours de réalisation.
Plusieurs médias, d’ABC News à World Affairs, en passant par Al Jazeera, ont enquêté. Les images satellite montrent que l’île d’Agaléga abritait un chantier de grande ampleur. L’île de 300 habitants a arriver, de façon inexplicable, 400 travailleurs indiens. Une piste d’atterrissage de 800 mètres, un terminal, des casernes, un hôpital et une tour de communication y ont été érigés.
Toutes ces installations sont contrôlées par l’armée indienne, et les deux-tiers de l’île sont désormais inaccessibles aux habitants. De quoi susciter des questions et laisser libre court à toutes les théories…
Le Journal de l’Afrique s’est intéressé aux images satellite fournies par Al Jazeera, mais également à des images plus récentes, qui montrent que le chantier avance à grande vitesse. Un témoin sur les lieux a parcouru la distance séparant Port-Louis d’Agaléga, en bateau, avant d’être arrêté par des garde-côte indiens et d’être escorté, de force, vers le large de Maurice.
Les #Seychelles ont reculé sur Assomption, mais Maurice a cédé face aux Indiens sur Agalega. Après Diego Garcia, une nouvelle île de l’océan Indien transformée en base militaire. #Mauritius #India
Via @Leiyla08 https://t.co/8yUGSn4Sa6— Babook 🇷🇪 (@Babook1) August 6, 2021
L’Inde et Maurice démentent
« Des soldats à bord de trois Zodiac ont encerclé mon bateau, je n’avais reçu aucun avertissement », nous raconte ce témoin, qui explique que sa famille, qui vit sur l’île d’Agaléga, est « injoignable depuis trois mois ». Il poursuit en affirmant que ce sont des « soldats indiens » qui l’ont obligé à rebrousser chemin, et non des Mauriciens. Certains membres de sa famille ont réussi à rallier Madagascar et, selon leurs affirmations, une muraille de barbelés sépare la zone habitable dans l’est d’Agaléga et le nord de l’île, où le chantier indien progresse.
Les images satellite, elles, montrent que six nouveaux bâtiments ont été érigés autour de la piste d’atterrissage, dont trois hangars. Rien ne confirme, à l’heure actuelle, que des avions militaires ont été stockés dans les hangars. Face au black-out autour de ce chantier, les autorités indiennes et mauriciennes tentent de faire bonne figure.
L’attaché de presse du Premier ministre de Maurice, Ken Arian, avait assuré en août qu’« il n’y a aucun accord entre Maurice et l’Inde pour la création d’une base militaire à Agaléga ». La piste d’atterrissage et la jetée font partie d’un projet datant de 2015 et il ne serait pas question d’un « usage militaire », toujours selon le Premier ministère.
Les terrains utilisés pour ces constructions appartiennent à l’Etat mauricien. La zone est désormais rendue inaccessible aux Mauriciens, bien gardée par des dizaines de militaires indiens.
Agaléga, a secret base, and #India’s claim to power. pic.twitter.com/QuqMfp9ZoA
— Rao Muhammad Daniyal (@RaoMDaniyal1) August 9, 2021
Une histoire qui se répète ?
Si les enquêtes montrent que les autorités indiennes et mauriciennes profèrent des mensonges, l’histoire de l’archipel permet également de douter des versions officielles. Le chantier développé sur l’île d’Agaléga ressemble à s’y méprendre à celui qui avait été lancé sur l’archipel de Chagos, revendiqué par Maurice mais sous contrôle effectif des Seychelles.
L’archipel a été coupé du monde, comme l’est actuellement Agaléga, pendant plus de douze ans. En 1973, la base militaire américano-britannique de Diego Garcia est sortie de terre. Une base qui abritait six navires militaires, dont deux porte-avions. Après plusieurs recours à Londres, les autorités chagossiennes ont réussi à obtenir un jugement favorable de la part des deux chambres parlementaires britanniques et l’appui de l’ONU, en 2008.
Les Mauriciens ce souviennent de cet épisode et craignent désormais que la souveraineté d’Agaléga leur soit retirée. Les habitant observent, impuissants, les militaires indiens occuper l’île. Une occupation qui semble avoir obtenu l’aval des autorités de Maurice, qui évitent soigneusement de s’aventurer sur ce sujet.
Agaléga: l’empreinte militaire indienne s’accentue à Maurice https://t.co/WnwQ0Ebwje via @RFI
In French my Grand Reportage Radio France International #India building military capabilities in #Mauritius #Agalega Island #IndianOcean @SamuelBashfield @katecrawford @journalisthasan— Abdoollah Earally (@AbdEarally) October 6, 2021