Maroc, Libye, Egypte, Tunisie… Les partis politiques islamistes ont connu de nombreuses défaites électorales en Afrique du Nord et traversent une crise qui les a désormais placés en marge de la scène politique.
Depuis 2011 et les révoltes populaires dans les pays de la région MENA — que les médias aiment à appeler « les printemps arabes » —, plusieurs partis d’obédience islamiste ont émergé. Avec plus ou moins de succès. Ces mouvements politiques, qui se trouvaient autrefois du côté de l’opposition, avaient connu pour certains des décennies de répression. Les fameux « printemps arabes » ont mis, en avant, les revendications des peuples, parmi lesquelles le multipartisme et la démocratie. Et les mouvements islamistes ont réussi, parfois avec tout l’opportunisme qu’on leur connaît, à s’intégrer dans des processus électoraux. Des formations islamistes ont même réussi à gagner des élections présidentielles — Morsi en Egypte — ou législatives, grâce à une base populaire conséquente.
Cependant, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que ces mouvements islamistes, modérés pour la plupart, commencent à perdre le soutien de leurs partisans ou qu’ils soient visés par une contre-révolution. Tout a commencé en 2013, avec l’Egypte. L’armée a alors renversé le président Mohamed Morsi, du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), lors d’un coup d’Etat sanglant dirigé par l’actuel président Abdel Fattah al-Sissi. Puis ce fut au tour des Frères musulmans de Libye qui, en 2014, avaient réussi à se frayer une place au sein du gouvernement de Fayez el-Sarraj. Ces islamistes-là ont chuté alors que débutait la guerre civile. Confronté à une possible disparition à cause, notamment, d’une guerre intestine entre ses deux leaders Ali al-Sallabi et Mahmoud Jibril, et condamné à continuer d’exister dans la clandestinité, le mouvement politique s’est finalement transformé en ONG à la fin du mois d’avril 2021.
Et alors que l’on pensait le parti islamiste tunisienne Ennahdha protégé, celui-ci s’est finalement effrité après des années passées au pouvoir au sein de l’Assemblée nationale constituante tunisienne, puis de l’Assemblée des représentants du peuple et même du gouvernement. Dirigé par son charismatique leader Rached Ghannouchi, Ennahdha a fini par se déliter, à la grande surprise des observateurs politiques nationaux. Une surprise, car le parti était majoritaire au parlement et bien ancré dans l’appareil administratif de l’Etat mais aussi au sein du gouvernement jusqu’en juillet dernier. Le 25 juillet, le président Kaïs Saïed a suspendu l’Assemblée, présidée par Rached Ghannouchi, et pris tous les pouvoirs. Un mois plus tard, au Maroc, le parti de la justice et du développement (PJD), qui dirigeait la coalition gouvernementale, a lui aussi subi une sévère défaite aux élections.
Un château de cartes qui s’écroule
Il y a dix ans, les partis islamistes semblaient monter inexorablement en puissance, surfant opportunément sur la vague des révolutions démocratiques. Ils sont finalement parvenus à prendre le pouvoir dans plusieurs Etats, en promettant espoir et changements. Leur statut de martyrs n’y était pas pour rien : premières victimes des dictature des régimes autocratiques de la région, ces formations politiques garantissaient un non-retour en arrière pour les votants. Surtout, l’avènement des partis uniques dans ces pays nord-africains avait grandement limité les libertés politiques, mais aussi religieuses, les musulmans trop pratiquants étant bien souvent emprisonnés comme ce fut le cas en Tunisie sous Ben Ali. Les partis islamistes, profitant de ce sentiment de liberté retrouvée, se sont imposés comme des alternatives crédibles.
En promettant la démocratie, et en lançant de sempiternelles débats sur la place de l’islam en politique, les différentes formations politiques en ont cependant oublié le principal : faire de la politique. Les régimes autocratiques ont, pendant des décennies, maquillé les chiffres concernant la pauvreté ou l’économie, pour donner satisfaction aux organisations internationales, à commencer par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Après plusieurs années passées à la tête des différents pouvoirs, les partis islamistes ont été confrontés à une réalité : l’échec en politique. Cependant, ils ont pu retarder l’échéance, en comptant sur la faiblesse des différents courants révolutionnaires et oppositions, qui n’ont jamais réussi à s’organiser. Et seul le retour des anciens régimes — Nidaa Tounes en Tunisie, sous forme de parti, ou les militaires en Egypte — leur a coûté leurs places. Pour les autres, la crise socio-économique a eu raison d’eux.
Une voie islamique vers la démocratie ?
Les cas de la Tunisie et de l’Egypte soulèvent une question : était-il légitime de tracer un chemin islamique vers la démocratie en Afrique du Nord ? On ne le saura probablement jamais. Mais si l’on en revient aux manifestations de 2011, de nombreux observateurs se sont empressés de souligner que les émeutes de rue ne faisaient en réalité aucune référence explicite à l’islam politique. Cette interprétation a littéralement bouleversé le lien entre engagement religieux et revendication politique, qui avait caractérisé les premiers pas du mouvement des Frères musulmans, dont les différents partis sont issus. Les manifestations de masse qui unissaient islamistes et laïcs sous une même bannière théorisaient une sorte de démocratie directe.
Mais au fil des mois suivant les révoltes, l’islam politique est revenu sur le devant la scène, volant parfois la vedette aux catalyseurs des révolutions, parmi lesquels les jeunes en manque de liberté. De retour en Tunisie, le leader du parti Ennahdha, Ghannouchi, a réduit le message de la révolution en débat identitaire. Un processus similaire s’est déroulé en Egypte où les Frères musulmans étaient pourtant les protagonistes incontestés de la révolution. Les autres acteurs politiques, eux, ont consacré très peu de leur temps à la construction d’un projet politique qui aurait pu les porter au pouvoir.
Pourtant, il y avait un boulevard : à la faiblesse des oppositions s’opposait une véritable faiblesse dans la gestion de l’Etat de la part des islamistes au pouvoir. Ce qui manque à ces derniers, estime le chercheur belge Brecht De Smet, c’est « cette phase caractérisée par la dialectique sociale qu’ils n’ont jamais connue ». Les longues décennies de répression et de marginalisation les auraient, en effet, « privés de cette composante nécessaire pour achever un véritable chemin évolutif ». Conséquence : dix ans après les « printemps arabes », les formations islamistes sont plus proches de l’implosion que du pouvoir.