Le 6 novembre 1982, Paul Biya devient président du Cameroun. Trente-neuf ans plus tard, il est toujours à la tête du pays. Plus que de son bilan, c’est de sa succession dont il est question.
Le « sphinx », le « dinosaure » ou même la « momie ». Les qualificatifs, pas toujours très gentils, ne manquent pas du côté de l’opposition lorsqu’il s’agit d’évoquer le président du Cameroun, Paul Biya. Rares sont d’ailleurs les surnoms affectueux attribués au chef de l’Etat. Ce samedi 6 novembre, Paul Biya fête ses 39 ans à la tête du pays. Une succession de mandats qui fait de lui le second chef d’Etat le plus ancien d’Afrique.
Si les trois premières décennies de Paul Biya à la présidence ont été relativement soutenues par les sphères financières internationales et doivent beaucoup à la politique de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, ces dernières années, la gouvernance du président camerounais fait débat. De la pauvreté extrême à l’insécurité dans le pays, en passant par l’endettement du pays, l’absentéisme du chef de l’Etat — qui passe, au goût de certains, un peu trop de temps en vacances en Suisse — et la guerre de succession qui ne dit pas son nom au sein du sérail de Paul Biya, une question revient incessamment : l’ère Biya est-elle définitivement révolue au Cameroun ?
Le roi est mort, vive le roi !
Pour comprendre sa chute annoncée, il faut revenir aux débuts de la présidence Biya. A la surprise de tous, le 4 novembre 1982, alors âgé de 58 ans, le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, annonce sa démission pour « des raisons de santé ». A l’époque Premier ministre, Paul Biya lui succède. Les hypothèses étaient alors nombreuses sur les raisons de cette succession inattendue et, malgré vingt-deux années passées au pouvoir par Ahidjo, prématurée.
Mais à la façon dont l’ancien président fut traité depuis son départ du pouvoir, on trouva rapidement les raisons de ce départ : la guerre intestine au sein de parti du pouvoir, l’Union nationale camerounaise (UNC), avait en effet été fatale à un Ahmadou Ahidjo fragilisé en interne.
Pour sa part, Ahidjo dénonça, en substance, un coup d’Etat médical orchestré par la France et demanda, en vain, l’assistance des Etats-Unis pour reprendre le pouvoir au Cameroun. Sans succès : Ahmadou Ahidjo finit sa vie en exil au Sénégal, où il décéda d’une crise cardiaque en 1989. Auparavant, il avait été condamné à mort par contumace et avait perdu le contrôle sur l’UNC en à peine cinq mois, après son départ du pouvoir. Le parti fut alors rebaptisé Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
La mort dans l’œuf des espoirs de démocratie
Dès qu’il prend le pouvoir en 1982, Paul Biya souscrit directement au plan de structuration économique imposé par le Fonds monétaire international (FMI). Une privatisation sauvage et un démantèlement de l’Etat se met alors en place au cours des années 1980 et 1990 au Cameroun. Avec un régime qui célèbre le monopartisme, les troubles civils au Cameroun se font rapidement ressentir. Paul Biya est élu président en 1984 et réélu en 1988, alors qu’il est candidat unique.
Le début des années 1990 est pourtant porteur d’espoirs, pour la classe politique camerounaise. Le pays connait alors ses premières — et pour le moment dernières — élections libres, même si celles-ci furent loin d’être transparentes. Le malheureux rival de Paul Biya, John Fru Ndi, finit deuxième de l’élection présidentielle de 1992, avec à peine quatre points de retard sur le président sortant. L’opposant est alors mis en résidence surveillée et la presse française se fait alors un plaisir de détruire l’image de Fru Ndi. Le pouvoir camerounais lance alors une opération de répression contre ses militants par le pouvoir camerounais.
Les présidentielles qui suivirent — en 1997 et 2004 — furent « des farces », selon l’opposition. Paul Biya remporte ces parodies d’élections avec respectivement 92 % et 71 % des suffrages. Avec un multipartisme de façade et un soutien français de plus en plus manifeste en direction du maître du palais d’Etoudi, le pouvoir au Cameroun est pris en tenaille par la machine Biya, qui ressemble à une caricature de la politique africaine.
Une ingérence étrangère manifeste
Le cinquième mandat de Paul Biya plante alors les graines de la discorde, et explique la situation actuelle du pays. Tout débute par une révision constitutionnelle, entre 2007 et 2008. Le Cameroun est alors plongé dans une crise économique sans précédent. La vague de manifestations, et sa répression meurtrière, fait vaciller le pays. Du côté de l’Occident, à l’exception d’une timide dénonciation d’« irrégularités » de la part des Etats-Unis, la communauté internationale donne l’impression d’ignorer ce qui se trame au Cameroun, à savoir la mise en place d’un pouvoir de plus en plus autocratique.
Il faut dire que le Cameroun entretient, au-delà d’un capitalisme aveugle, un secteur primaire varié et totalement contrôlé par les entreprises étrangères. Et ce dans tous les secteurs : pétrole, coton, bois, agriculture… Les entreprises européennes — Total, Nestlé, Perenco, Bolloré, Vilgrain, Diageo, Castel, Areva, Va Tech, Lafarge, Bouygues, SG — ont la mainmise sur la totalité du secteur primaire camerounais. Privant ainsi les Camerounais de ressources financières importantes, là où Paul Biya et sa très large famille, eux, ne manquent pas d’argent.
Les années de plomb
Il fallut attendre les années 2015 et 2016 pour voir renaître la contestation à l’encontre du régime Biya. D’un côté, l’ascension du « vice-président » — l’homme fort du régime —, le secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, lancer une lutte acharnée pour la succession de Paul Biya. D’un autre côté, la crise anglophone dans l’ouest du pays prend un tournant sanglant.
Sur le premier point, Paul Biya reste solide comme un roc, mais il est tiraillé : son fils Emmanuel Franck Biya est l’héritier de la fortune familiale, mais sa femme Chantal Vigouroux est très influente également. La Première dame manie les rouages du parti présidentiel en coulisses, sa fondation recueille des fonds colossaux de la part des milliardaires et, sur le marché des ONG, elle a fait de la lutte contre le VIH son cheval de bataille. Cette influence de Chantal Biya lance pourtant une véritable bataille familiale, qui se conclura par l’échec de la candidature de Franck Biya en 2018.
Affaibli par les nombreux scandales, notamment par les frasques de la fille de Paul Biya, Brenda, le régime camerounais perd de sa crédibilité année après année. Alors que Paul Biya fête ses 39 ans de présidence, il n’a jamais été aussi isolé. L’oligarchie politique s’engraisse à coup de commissions prélevées sur les contrats étatiques. Le terrorisme transfrontalier aliène de plus en plus l’armée, qui se sent abandonnée par le chef de l’Etat. La diaspora, elle, ne manque pas une occasion pour manifester contre la tyrannie de Paul Biya. Et dans la région anglophone, les massacres de civils se poursuivent. Une image bien sombre d’un pouvoir fébrile et sur le départ. Mais partout, c’est la question de succession qui fait débat, sans qu’une réponse claire n’ait, pour le moment, pu être apportée.