La conférence pour la stabilité de la Libye, organisée par le gouvernement d’unité nationale (GNU) d’Abdel Hamid Dbeibah, a confirmé la date des élections du 24 décembre. Une ambition réaliste ?
Le monde entier était à Tripoli en ce début de semaine : les représentants des pays voisins, de l’Union africaine (UA), de l’Union européenne (UE), des puissances mondiales et même des Nations unies. La totalité des intervenants dans la crise libyenne ont répondu présents à l’appel du Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah, qui a organisé le premier meeting diplomatique sur la Libye… en Libye.
En préambule de cette conférence, dès le 10 octobre, les pourparlers avaient débuté, particulièrement au sein de la commission militaire mixte 5+5. Le but étant de remettre les pendules à l’heure quant au statu quo qui garantit la paix en vue des élections. Le scrutin a été confirmé et il aura bien lieu le 24 décembre, a affirmé le Premier ministre. Et pour tous les invités à la conférence de ce jeudi, c’est comme si le coup de force du chef du parlement Aguila Salah, qui a promulgué unilatéralement les lois électorales et voté une motion de censure contre le GNU, n’avait jamais existé.
Quoi qu’il en soit, le dialogue continuera entre l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar et Tripoli. Le Conseil présidentiel libyen se dit « ravi que l’Afrique soit au premier plan » dans la transition libyenne. Un euphémisme, sans doute, surtout lorsqu’on sait que, outre la confirmation de la date des élections, aucun effort diplomatique n’a encore abouti. Ce qui expliquerait notamment le silence égyptien et algérien. Du côté français, Jean-Yves Le Drian pousse vers une conférence sur la Libye à Paris en novembre. Enfin, pour l’ONU, la réussite des pourparlers au sein de la commission 5+5 serait illusoire sans le retrait des forces étrangères.
L’ONU ayant chanté tout l’été
Outre la valeur symbolique de cette conférence de Tripoli — car il était temps que le futur libyen soit discuté en Libye et non dans les capitales occidentales —, la promesse de tenir les élections à temps ressemble plus à un ultimatum pour Abdel Hamid Dbeibah et son GNU qu’autre chose.
En effet, les mesures prises unilatéralement par Aguila Salah, le mois dernier, ont limité dans le temps la légitimité internationale du GNU. La date des élections est cruciale et celles-ci doivent avoir lieu coûte que coûte. L’ONU et les pays occidentaux insistent, ayant décidé de ne pas prendre en compte le contexte électoral. Car si les élections se déroulent avec Khalifa Haftar pour seul candidat légal, les troubles post-électoraux seront inévitables.
Pourquoi, alors, les Nations unies et leur représentant Ján Kubiš agissent comme si la menace d’une guerre civile n’était pas un facteur à considérer ? Tout d’abord, l’ONU veut reprendre la main après l’intervention des pays voisins de la Libye. Les Nations unies ont compris que le dossier libyen commençait à leur échapper. Pour tente de montrer son leadership, l’ONU continue d’asséner les mêmes revendications, encore et toujours, à savoir le retrait des forces étrangères.
Du côté de l’Algérie, de l’Egypte et de l’UA, on estime qu’une paix durable vaut mieux qu’un scrutin contesté.
L’Algérie et l’UA, une main de fer dans un gant de velours
En marge de la conférence de Tripoli, deux autres évènements ont eu lieu, montrant que l’ONU ne serait pas seul maître à bord. Le premier a été la nomination, acceptée par Tripoli, du nouvel ambassadeur extraordinaire de l’Algérie en Libye. Il s’agit de l’ancien chef du parlement algérien, Slimane Chenine. Ce dernier est un personnage intriguant : il a été le premier opposant et premier islamiste à diriger le parlement algérien entre 2019 et 2021. Une nomination faite sur mesure par le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra. Slimane Chenine est connu pour ses rapports cordiaux avec l’Egypte, les Emirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite. Un axe que l’Algérie doit consolider dans le dossier libyen. Alger a donné à Chenine une large palette de pouvoirs lors de sa mission en Libye. Il aura notamment la possibilité de signer des accords au nom de l’Etat, ce qu’un ambassadeur ordinaire ne peut habituellement pas faire.
Du côté de l’Union africaine, le président congolais Denis Sassou-Nguesso a dépêché son numéro 2 au sein du Comité de haut niveau sur la Libye, son ministre des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso. Ce dernier, accompagné d’une délégation de l’UA, a rencontré le chef adjoint du Conseil présidentiel, Musa Al-Koni.
Une réunion à huis-clos, lors de laquelle Al-Koni et Gakosso ont discuté de sécurité. « La présence de la délégation africaine en Libye reflète la confiance que la communauté internationale a placée dans le pays et dans le continent, qui est vitale pour la stabilité de la Libye », a déclaré Al-Koni après la réunion.
Que faisait Jean-Yves Le Drian à Tripoli ?
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, était présent à Tripoli également, tout comme son homologue français Jean-Yves Le Drian. Rien n’indique que les deux hommes se sont rencontrés. Toutefois, Lamamra a communiqué sur ses entrevues avec la diplomate américaine Yael Lempert, avec le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah et avec sa ministre des Affaires étrangères Najla Mangoush. La priorité semble donc la situation libyenne, malgré les différends entre l’Algérie et la France.
A l’exception de l’annonce d’une future conférence sur la Libye à Paris en novembre, on ne sait toujours pas ce qui a provoqué le « déplacement en urgence » de Jean-Yves Le Drian à Tripoli. Paris envoie des signaux contradictoires : le chef de la diplomatie française a évoqué la future conférence française, assurant qu’elle « fournira le dernier élan international nécessaire pour soutenir les élections à la fin de l’année, entérinera le plan libyen de départ des forces et mercenaires étrangers et soutiendra sa mise en œuvre, pour mettre fin à l’ingérence étrangère ». Sur ce dernier point, le doute est permis : Le Drian tente dans un dernier souffle de sauver la face et d’imposer les intérêts de la France.