La plus grande plateforme de streaming de musique et de podcasts au monde, Spotify, a mis en œuvre sa stratégie d’expansion africaine annoncée en février dernier. Seul hic : les paiements en ligne.
Avec près de 345 millions d’utilisateurs actifs, l’ascension de Spotify dans le monde est fulgurante. La plateforme accueille des dizaines de milliers d’artistes africains connus ou cherchant à se faire connaître. Être présent sur Spotify, pour un artiste, est souvent synonyme de succès. Et depuis quelques mois, l’application accueille des podcasts, qui sont aujourd’hui les plus suivis au monde.
En Afrique, la plateforme compte 47 000 utilisateurs payants. Beaucoup d’utilisateurs préfèrent cependant le téléchargement illégal de la musique ou la version gratuite de YouTube Music. Pour les utilisateurs, ce sont des méthodes de substitution, et Spotify le sait bien. Le groupe suédois cherche depuis février à s’installer dans la totalité des pays africains. Avec un souci de taille à affronter : les modalités de paiement. La circulation des devises dans les pays africains est très limitée, et la majorité des potentiels utilisateurs détiennent des téléphones portables, qui leur servent de moyens de paiement, plutôt que des comptes bancaires.
Pour les pays avec des taux de bancarisation élevés, il est quasiment impossible de faire des achats en ligne. Les seuls Etats dont les banques centrales autorisent les transactions en ligne sont l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Maroc, l’Egypte, le Sénégal et le Nigéria. Pour les autres pays africains, la démarche pour avoir un compte bancaire en devises est extrêmement compliquée, voire impossible. Un défi pour Spotify et son plan de développement. Si YouTube se heurte à l’impossibilité de négocier un accès global au marché africain pour son service premium, Spotify négocie actuellement avec chaque Etat.
Les ambitions de Spotify
Spotify compte s’installer dans 40 pays africains, et 18 avant la fin de l’année. Mission impossible ? Pas tant que cela. Car la Sud-Africaine, cheffe du département de la musique de Spotify, Phiona Okumu, assure que la société a trouvé des « méthodes de paiement alternatives ». Okumu parle du système de transfert d’argent de Vodafone, M-Pesa, qui a donné le feu vert dans les pays où il est installé. M-Pesa permettra ainsi à Spotify de vendre ses services au Kenya, au Ghana, en Tanzanie, en Afrique du Sud, au Lesotho, au Mozambique, en Egypte, en RDC et en Ethiopie.
Le système financier informel devient donc une aubaine pour Spotify. Mais cet accord représente surtout une porte d’entrée sur le marché africain, où les plus grandes entreprises n’arrivent que rarement à trouver le soutien politique pour vendre leurs services.
Selon Okumu, Spotify cherche d’autres partenaires dans les pays cibles. « Nous avons des conversations avec les bons partenaires pour nous assurer que nous apportons des solutions aux problèmes de paiement auxquels sont confrontés plusieurs consommateurs africains dans différentes parties du continent », déclare-t-elle. Le partenariat avec M-Pesa pourrait bien amener les autres systèmes de paiement à négocier avec Spotify. En effet, M-Pesa ne prélèvera pas de commission sur les achats Spotify, contrairement à ses autres clients — Banques, sociétés commerciales et acteurs internationaux des TIC.
En Afrique, généralement, les coûts associés à l’ouverture de comptes bancaires, la distance par rapport aux institutions financières et la difficulté de répondre aux exigences des particuliers ont ajouté à l’attrait de l’utilisation du téléphone pour payer les services en ligne.
Quid des opérateurs des pays francophones ?
En 2020, l’Afrique subsaharienne comptait 548 millions de comptes d’argent mobile, en hausse de 12 % par rapport à 2019, plus que toute autre région du monde, a déclaré l’organisme de l’industrie mobile GSMA. Cela a permis des transactions bancaires sur un continent où environ 43 % des Africains subsahariens de plus de 15 ans avaient un compte bancaire en 2017, selon la Banque mondiale, qui n’a pas fourni de données plus récentes.
Les rivaux locaux de Spotify, tels que le Kényan-Danois Mdundo et le Nigérian Boomplay, ont également commencé à nouer des liens avec les opérateurs mobiles. Toutefois, la palette de services des plateformes de streaming africaines est très limitée par rapport à Spotify. En effet, Spotify représente la quasi-totalité des maisons de disques du monde et, avec elles, tous les chanteurs et un grand nombre de podcasts. Pour les sociétés de télécommunications ayant déjà signé avec Spotify — Airtel Nigeria et Vodacom Tanzanie —, le partenariat peut aider à fidéliser les clients en ajoutant des services exclusifs et très prisés, par les jeunes notamment.
De quoi mettre à mal les opérateurs des pays francophones d’Afrique subsaharienne, notamment Free et Orange, très présents en Afrique de l’Ouest. Ces derniers ne pourront que difficilement négocier de meilleurs termes que M-Pesa pour collaborer avec Spotify. Et ce partenariat est devenu crucial, alors que le géant du streaming vise le milliard d’utilisateurs avant la fin de 2022.