Lors des législatives marocaines, le parti islamiste du PJD a perdu la quasi totalité de ses sièges au Parlement. Une déroute qui doit beaucoup à la stratégie royale.
Voilà plusieurs mois que le parti islamiste marocain, le Parti de la justice et du développement (PJD), est dans la tourmente. Le « parti de la lampe » avait pourtant, ces dernières années, brillé par ses prises de positions contre la corruption et pour la justice sociale. Mais une crise interne a eu raison d’un PJD fragilisé. Après une décennie au pouvoir, le parti s’est quasiment effondré : il a perdu, lors des législatives marocaines, 113 sièges sur les 125 dont il disposait à la Chambre des représentants. Avec désormais 12 sièges, il subit une déroute historique. Les autres formations, du Rassemblement national des indépendants (RNI) au Parti Authenticité et modernité (PAM), en passant par le Parti de l’Istiqlal (PI) ont raflé la mise.
En attendant les résultats officiels ce jeudi, l’heure est déjà au bilan pour le PJD. Qu’a-t-il pu arriver pour que les islamiste trébuchent, voire chutent ? Le bilan des législatives est clair : les partis proches du palais royal ont été les plus plébiscités. Saad Dine El Otmani, lui, devra prochainement quitter ses fonctions de Premier ministre après un dernier coup d’éclat : un refus de rencontrer le chef de la diplomatie israélienne Yair Lapid, en août dernier. Un événement plus que symbolique : autrefois proches du pouvoir, les islamistes du PJD sont, depuis la signature des Accords d’Abraham et la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, devenus de véritables opposants au palais royal.
Le PJD sous la coupe du palais royal
Avec un taux de participation de plus de 50 %, les législatives ont été plus suivies qu’à l’accoutumée, notamment grâce à l’organisation des élections communales et régionales. Le régime avait également fait voter un texte de loi mettant en place un quotient électoral. Ce nouveau mode de calcul, basé sur le nombre de votants et non d’inscrits, était jugé « anti-démocratique » par le PJD, qui devait espérer un taux de participation faible pour conserver sa majorité. Ce texte, taillé sur mesure contre les islamistes, leur aura donc été fatal.
Tout au long de la journée de vote, le PJD a fait état de « graves irrégularités ». Alors que le ministre de l’Intérieur a estimé que tout s’était déroulé normalement. Il faut dire que, depuis plusieurs années, le roi Mohammed VI espère se débarrasser des islamistes du PJD : en 2017, il avait retiré à Abdelilah Benkirane la charge de former un gouvernement. En optant pour Saad Dine El Otmani, le roi avait nommé un Premier ministre qu’il connaît bien, puisque celui-ci a été ministre des Affaires étrangères. Otmani, plus lisse que d’autres personnalités de son parti, représentait-il une transition vers la fin de l’islam politique au Maroc ?
Depuis cette date, le parti islamiste est en phase d’implosion. Officiellement, Benkirane et Otmani bénéficiaient tous deux d’un soutien sans faille des militants. Officieusement, la révocation de l’un au profit de l’autre aura signé le début de la fin du PJD. « Derrière cette unanimité de façade, cadres et militants islamistes grincent des dents. Ils considèrent que le Palais leur est redevable après tout ce qu’ils ont fait pour la stabilité du Maroc et sa monarchie en ne se joignant pas, en 2011, au ‘printemps arabe’ à la marocaine et en contribuant à désamorcer la vague de protestations qui parcourait le pays », résume OrientXXI.
Qu’importe : le roi du Maroc désirait remettre le PJD dans l’opposition plutôt que la majorité. Comme l’indique l’article 42 de la Constitution, le monarque reste « l’arbitre suprême entre institutions » et doit veiller « au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles ». En écartant Otmani et ses hommes, Mohammed VI reprend la main sur un Parlement acquis à la cause islamiste. La fin d’une idylle entre le PJD et le palais royal.
Séparer le religieux du politique ?
Est-ce pour autant la fin de l’islam politique au Maroc ? Là où, en Algérie, les islamistes sont mis au ban du gouvernement malgré une popularité incontestable, le Maroc a préféré le consensus. Mais en « jouant » politiquement avec le PJD, le palais a poussé les militants vers Al-Adl Wal-Ihsan, un mouvement islamiste illégal, et tué de l’intérieur le PJD qui devra se renouveler. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler ce qui se déroule actuellement en Tunisie, où le président Kaïs Saïed a suspendu les activités de l’Assemblée des représentants du peuple et mis les islamistes d’Ennahdha devant leurs responsabilités.
Que ce soit au Maroc ou en Tunisie, les islamistes devront se réinventer. Du côté de Tunis, Ennahdha devra clarifier sa position. Le PJD, lui, tentera de se relever après sa déroute. Mais tous les deux ont en commun d’avoir, depuis 2011, été au pouvoir, avec plus ou moins de succès. « La ‘normalisation’ politique d’Ennahdha et du PJD et leur intégration au jeu politique institué n’ont pas conduit à une séparation effective entre les deux domaines d’action et n’ont pas éliminé la porosité des frontières entre religieux et politique », résume la chercheuse Anca Munteanu. Ecartés du pouvoir dans ces deux pays, les membres des partis relevant de l’islam politique auront désormais deux options : devenir des formations politiques à part entière ou disparaître.