Après le Mali, la Guinée. Après le coup d’Etat à Conakry, la Cedeao a suspendu la Guinée. Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé semblent inquiets et veulent se positionner sur les dossiers guinéen et malien.
Depuis ce mercredi 8 septembre et le Sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) consacré notamment au coup d’Etat en Guinée, Faure Gnassingbé et Alassane Ouattara sont étrangement silencieux. Les deux présidents ont, certes, fait état de leur participation au sommet et livré les conclusions de cette réunion extraordinaire. Mais contrairement aux chefs d’Etat bissau-guinéen ou sénégalais, « FEG » et « ADO » se refusent à des commentaires personnels sur la situation en Guinée Conakry. Il faut dire que la situation est embarrassante : décriés par leurs peuples, Gnassingbé et Ouattara ont tous deux manié sans précaution leurs Constitutions respectives et brigué des mandats jugés illégaux par la société civile.
Alors, le putsch qui a été fatal à Alpha Condé, en Guinée, inquiète au sein de la Cedeao : la tentation du troisième mandat pour le président guinéen lui aura été fatale. Après un référendum constitutionnel controversé en 2020, Condé a été réélu après une présidentielle tout aussi contestée. Mais pour certains chefs d’Etat de la Cedeao, pas question pour autant de soutenir les putschistes guinéens. Certes, le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embaló a détonné en estimant que « sanctionner la Guinée serait irresponsable et fragiliserait un pays déjà en difficulté ». Les autres présidents de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ont, eux, exigé la libération d’Alpha Condé avant toute négociation. En attendant, la Guinée a été suspendue des instances de décision de la Cedeao.
Le manque de réactions face aux bricolages de constitutions
Alassane Ouattara a été le tout premier chef d’Etat de la Cedeao à s’entretenir avec Mamady Doumbouya, le chef des forces spéciales guinéennes à l’origine du coup d’Etat en Guinée. Lundi après-midi, le président ivoirien a fait part de son inquiétude au militaire. Le lieutenant-colonel et « ADO » ont notamment évoqué le cas Condé. Ouattara a mis en garde Doumbouya, en lui indiquant que la Cedeao serait attentive à l’évolution de la situation. Alors que le Ghanéen Nana Akufo-Addo est le président en exercice de la Cedeao, Ouattara semble vouloir prendre la direction des opérations. Faure Gnassingbé, de son côté, est omniprésent dans le dossier malien malgré la médiation assurée, pour la Cedeao, par Goodluck Jonathan.
Que cherchent donc les deux présidents les plus contestables d’Afrique de l’Ouest dans les deux derniers pays ayant renversé leurs chefs de l’Etat ? D’un côté, Faure Gnassingbé tente de jouer les intermédiaires entre Bamako et Paris, ce qui lui assurerait un soutien important de la France en cas de succès de la transition. Quant à Ouattara, il espère jouer un rôle important pour éviter que la « Peul connection » prenne le pouvoir en Guinée, via un gouvernement de transition. En réalité, les deux présidents ivoirien et togolais ont tout intérêt à agir discrètement et rapidement. Pour ce faire, ils peuvent aussi compter sur des confrères méfiants vis-à-vis de leurs armées : Mohamed Bazoum avait, par exemple, condamné le coup d’Etat au Mali. Face à la succession de putschs ces derniers mois, les présidences les plus fragiles d’Afrique de l’Ouest ont tout intérêt à choisir leur camp, celui de l’acceptation de la « présidence à vie ».
Ce mercredi, alors que se tenait le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Cedeao, les présidents ouest-africains ont affirmé vouloir envoyer une « mission de haut niveau », qui discutera « avec les nouvelles autorités », en Guinée, avant de délibérer sur de potentielles sanctions. En attendant, les chefs d’Etat ont réitéré leurs demandes publiées dans le communiqué du dimanche 5 août, surtout concernant la libération de l’ancien président guinéen Alpha Condé. Selon le ministre des Affaires Etrangères du Burkina Faso, Alpha Barry, la Cedeao réclame que les militaires du Comité National du Rassemblement et du développement (CNRD) « mettent en place un processus qui permette d’arriver très rapidement à un retour à l’ordre constitutionnel normal ». Une réaction aussi timide qu’attendue. Et l’absence de prises de position de la part des chefs d’Etat de la Cedeao montre à quel point le dossier est sensible. L’opinion publique a lourdement accusé les dirigeants du bloc ouest-africain de faire l’apologie de l’autocratie. La position des chefs d’Etat de la Cedeao vis-à-vis des mandats inconstitutionnels semble être aujourd’hui le vrai enjeu du coup d’Etat guinéen. Et Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé sont sans aucun doute les plus concernés par ce sujet.
Le rôle politique inassumé de la Cedeao
La Cedeao avait décidé, en 2015, de se charger de la surveillance des élections dans la sous-région. L’instance envoie deux missions d’observation dans chaque pays où se tiennent des élections. Ce rôle politique, dont l’instance se prévaut désormais, a donné lieu à son lot d’aberrations. Mais, surtout, en confirmant les résultats d’élections non transparentes, la Cedeao a activement soutenu l’autocratie des chefs d’Etat aux yeux de la communauté internationale. Elle a également affaibli la tendance à l’alternance politique.
Si certains militants, à l’image d’Alioune Tine, ancien directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest d’Amnesty International, estiment que le contexte actuel est « une imposture intellectuelle qui dissimule les nouvelles formes de coup d’Etat constitutionnel et de coup d’Etat électoral, créant instabilités et régressions », d’autres observateurs, comme le politologue ivoirien Sylvain N’Guessan, pensent que les dirigeants préfèrent « s’accrocher quitte à mourir au pouvoir pour préserver, non seulement leur tête, mais aussi les intérêts de la famille et de leur clan ».
Là où le bât blesse, cependant, c’est qu’en face des chefs d’Etat se trouvent des oppositions faibles dans les pays de la Cedeao, ce qui semble être aujourd’hui un frein à une amélioration de la gouvernance. Assimi Goïta et Mamady Doumbouya sont des soldats, dont le devoir républicain exige l’apolitisme. Mais quelles sont les alternatives ? Assurer la continuité de l’Etat et exécuter des programmes électoraux est un défi. Et si la Guinée, le Mali, ou tout autre pays de la Cedeao cherche une issue à la crise socio-politique, les populations ont-elles vraiment l’embarras du choix au moment de devoir élire leurs représentants ?
Alors, lorsque la Cedeao appelle à la restauration des institutions, de quelles institutions parle-t-on ? L’administration, la justice, les entreprises publiques et la presse ne sont pas indépendantes en Guinée. Les coups de force successifs des instances internationales ont consciemment mis les Etats africains à genoux. Et il est virtuellement impossible, même à l’ère de la mondialisation, de brûler les étapes du chemin vers la démocratie. Surtout sans un minimum de soutien de la part de la Cedeao.