Arrêté et jugé au Sénégal dans les années 2010, Hissène Habré a fait régner la terreur pendant huit ans et demi au Tchad. Le militaire aurait fait tuer plus de 40 000 personnes.
1982. Goukouni Oueddei, quelques mois après avoir décrété la fusion entre le Tchad et la Libye, est renversé. Avec l’aide de la France et des Etats-Unis, Hissène Habré prend le pouvoir. A l’époque, Habré connaît bien les arcanes du pouvoir tchadien : en août 1978, il avait été désigné Premier ministre par le général Félix Malloum. Un geste en faveur de la « réconciliation nationale » qui tournera bientôt au cauchemar. Alors que la maison de Hissène Habré est attaquée le 12 février 1979 par la police nationale, c’est le début d’une nouvelle guerre civile lancée par Habré et ses Forces armées du Nord (FAN). Alors qu’une entente entre les différentes parties du conflit est rapidement trouvée, la France, rassurée par ses partenaires africains, retire peu à peu ses troupes du pays. Oueddeï devient alors président d’un Conseil d’Etat provisoire. Si provisoire que Hissène Habré le renversera en 1982. Pendant huit ans et demi, cet admirateur de Che Guevara, de Frantz Fanon et de Raymond Aron va rapidement oublier ses lectures pour se concentrer sur son pays, non sans une certaine violence.
Un révolution radical, entouré de gens brillants
Car lors de son départ forcé du pouvoir, Hissène Habré va être accusé d’être responsable de la mort de 40 000 personnes, au bas mot. Pendant plus de huit ans, Habré, connu pour être paranoïaque, va faire régner une terreur aveugle sur ses populations. Son parcours politique illustre bien cette paranoïa : il sera fait d’alliances et de trahisons. Comme à partir de 1979. Alors qu’il l’a nommé Premier ministre, Habré décide de trahir Félix Malloum et de le chasser de N’Djamena. Il fait alors une alliance avec Goukouni Oueddei, qui l’avait déjà nommé commandant des Forces armées du Nord (FAN) en 1972. Mais un an plus tard, il trahit ce dernier. Pendant des années, Hissène Habré va combattre sur le terrain, entre la Libye et le Tchad. Surnommé « le guerrier du désert » par la CIA, avant de devenir putschiste, Habré avait des idéaux. Selon Raymond Depardon, qui a tourné un documentaire sur lui, Hissène Habré était « grand, sec, avare de mots, grand lecteur, entouré de types plutôt brillants », mais surtout impressionnant et effrayant. « Il avait une grande culture, parlait un français parfait, possédait une culture révolutionnaire radicale, très anti-libyenne, (…) au fond assez nassérienne », résume le réalisateur.
La terreur qui pesait sur les populations tchadiennes, peu de dirigeants politiques de l’époque peuvent assurer qu’ils n’en étaient pas conscients. Mais c’est après son renversement que la découverte de charniers a choqué le monde entier. En décembre 1990, Idriss Déby, soutenu par François Mitterrand et la France, prend le pouvoir à Habré. Un an et demi plus tard, les révélations macabres s’enchaînent : des fosses communes aux alentours de la capitale sont découvertes. La police politique (DDS), créée par Habré, a exécuté des Tchadiens par dizaines de milliers. En 1992, Idriss Déby met en place une commission d’enquête comptable des exactions commises par Hissène Habré pendant huit années. Des témoins racontent alors leurs liens avec l’ex-président tchadien et les enquêteurs tentent de comptabiliser les morts. Un témoin dira dans le rapport final que Habré « est un mélange de chef maoïste et de bon musulman ». D’autres seront plus durs : la répression de Habré aurait laissé 80 000 orphelins, selon le rapport. Un document qui, en revanche, n’incrimine pas Idriss Déby, qui fut pourtant le chef d’état-major de Hissène Habré et donc l’une des pièces maîtresses du régime Habré.
Un procès devant un tribunal spécial africain, une première
En exil au Sénégal, Habré vivra d’abord quelques années calmes. Pendant deux décennies, le Tchadien pourra compter sur le soutien d’Abdou Diouf, qui a accepté de l’accueillir sans conditions. Abdoulaye Wade, au début des années 2000, le défendra par la voix de son ministre de la Justice. En 2011, le Tchad demande l’extradition de son ex-chef de l’Etat. Car trois ans plus tôt, Habré a été condamné à mort par contumace pour « crimes contre l’humanité » par un tribunal de N’Djaména. Mais le régime Wade refusera de renvoyer Habré. Il faudra attendre 2013 et une pression intense de la communauté internationale pour que le Tchadien soit finalement arrêté. Le 2 juillet, il est emprisonné dans une cellule d’un établissement pénitentiaire VIP. Selon les témoignages des gardiens de prison, au moment de se mise derrière les verrous, Habré serait resté fier et serein. Oueddei rappellera, quelques semaines plus tard, que « Hissène Habré, c’est un orgueilleux. S’il est propre il s’en sortira. S’il a fait quelque chose, il sera condamné ».
Une condamnation, à l’époque, a déjà été décidée au Tchad. Mais les ONG internationales et les victimes, se basent alors sur l’affaire Pinochet — ce qui donnera à Habré son surnom de « Pinochet africain » — pour arriver à leurs fins, espèrent bien plus concernant l’ex-président tchadien. A l’origine de dizaines de milliers de tués, Hissène Habré aura été le premier président africain à être jugé « au nom de l’Afrique » par une chambre africaine extraordinaire, sur les recommandations de l’Union africaine. En 2008, le Sénégal engage alors une série de réformes législatives. Un amendement constitutionnel permet désormais au pays d’instruire des cas de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité perpétrés hors de ses frontières. En 2008, plusieurs victimes portent plainte contre Habré, au Sénégal. Pendant 56 jours, les Chambres entendront 93 témoins. Habré, lui, restera silencieux. Reconnu coupable de crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvements, il est condamné à la prison à perpétuité. Après avoir demandé d’être libéré pour raisons de santé, Habré est retourné en prison le 7 juin 2020 après deux mois en résidence surveillée.