L’Afrique a fait, ces dernières années, une incursion sur les podiums des défilés de mode. Le continent influence de plus en plus les créateurs de luxe. Mais des designers africains ont également leur mot à dire.
Le continent africain s’est, ces dernières années, frayé une place dans le luxe, influençant les plus grands créateurs. Gucci ou encore Burburry donnent désormais à leurs collections des touches africaines. En 2018, Paige Kalongi, organisatrice de la Kinshasa Fashion Week, assurait déjà que « l’Afrique a une place artistique importante dans l’industrie de la mode, on voit de plus en plus de styles inspirés de la culture africaine dans les défilés ». Au risque de tomber dans les clichés ? Certainement. Car lorsque les maisons européennes du luxe évoquent l’Afrique, c’est bien souvent de manière caricaturale. Après tout, le luxe est un business comme les autres et il n’est pas question pour l’industrie de la mode de faire dans la philanthropie. Est-ce cependant une raison pour donner une image fantasmée de l’Afrique ? « Aujourd’hui, nous avons une image de la mode africaine très colorée avec beaucoup d’imprimés, alors qu’il existe une réelle richesse dans le patrimoine africain », déplore le styliste Imane Ayissi.
Miser sur l’Afrique : la politique opportuniste des maisons européennes
« On m’a demandé il y’a peu ‘Mais c’est quoi le style africain ?’ Ma réponse, c’est qu’il n’y en a pas ! », affirme de son côté, dans une interview, Uche Pezard, fondatrice de Luxury Connect Africa. La jeune femme rappelle que, « en Afrique, il y a plus de 4 000 coutumes et c’est ce patrimoine culturel qui doit être mis en valeur ». Peu de maisons du luxe ont aujourd’hui une vision afropolitaine réelle de la mode. Peut-être parce que ce sont les créateurs européens qui tentent de s’approprier les marqueurs africains et qu’on fait encore peu appel aux créateurs africains. « Ce n’est pas la volonté des entreprises de valoriser l’Afrique. Pour elles, c’est de l’opportunisme », déplore Habib Babindamana, qui lance sa marque de luxe, Kibirka, à la rentrée prochaine. Les créateurs africains ont pourtant des arguments à faire valoir : il connaissent leurs traditions et ils tranchent avec une quelconque appropriation culturelle que l’on pourrait imputer à l’industrie européenne du luxe. D’Alexander Amosu, un designer britannico-nigérian, à Satta Matturi, originaire de Sierra Leone, en passant par le Gabonais Dominique Siby, les créateurs africains ont percé ces dernières années, mais difficile de rivaliser avec les marques existant depuis des décennies.
Il n’y a pas que le wax en Afrique
A l’origine de ces nouveaux succès, une façon différente d’intégrer l’Afrique dans les collections de luxe. Là où les marques les plus célèbres se limitent à quelques pièces de wax pour africaniser leurs collections ou à des motifs d’animaux de la savane, les créateurs originaires du continent tentent, de leur côté, de valoriser l’Afrique : Laduma Ngxokolo, créateur sud-africain, sent chez ses clients, notamment issus de la diaspora, une envie de vêtements « nettement africains, audacieux et mémorables ». Il rappelle qu’en 2019, deux des huit finalistes du prix LVMH venaient d’Afrique. Le créateur, lui, a choisi d’intégrer la coutume xhosa dans ses collections — il a d’ailleurs attaqué en justice Zara, qui avait utilisé les mêmes motifs que les siens. « C’est ce type de présentation qui fait que l’on peut imaginer sortir des styles cohérents ou codes que l’on pourrait associer à l’Afrique », assure Uche Pezard. Il est effectivement important de « mettre en lumière la richesse culturelle et créative de l’Afrique », poursuit Habib Babindamana, originaire du Congo-Brazzaville.
« L’Afrique influence la banlieue, la banlieue influence Paris, Paris influence le monde »
Les créateurs africains ont aujourd’hui besoin de se réapproprier les codes vestimentaires et les coutumes locales pour proposer des produits originaux, loin des clichés et du tout-wax. Ainsi, Kibirka s’inspirera de l’« abacost », par exemple. Abréviation d’« à bas le costume », une doctrine vestimentaire imposée par Mobutu dans le Zaïre des années 1970, l’« abacost », ce sont des costumes à manches courtes, des vestes sans col ou encore des tissus légers. L’antithèse de la sapologie, en quelque sorte. « Les sapeurs valorisent les modes anglaise, italienne et française, nous nous voulons valoriser l’Afrique », résume Habib Babindamana qui désire « raconter l’histoire des peuples africains à travers les vêtements ». Dolce & Gabbana, Hugo Boss, Cartier, Louis Vuitton ou encore Gucci sont arrivés jusqu’en Afrique, et Habib Babindamana aimerait tracer le chemin inverse, mettre un peu d’Afrique dans les capitales européennes. En faisait toutefois un pont entre les différentes cultures. « L’Afrique influence la banlieue, la banlieue influence Paris, Paris influence le monde », s’amuse à résumer l’entrepreneur, comme pour raconter comment la mode africaine se nourrit de celle occidentale, et vice-et-versa.