Une nouvelle feuille de route retarde le lancement de l’Eco à 2027. La Cedeao veut-elle vraiment une nouvelle monnaie unique ?
Entre l’annonce de la création de l’Eco, la future monnaie unique de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), et sa mise en circulation, il se sera écoulé un délai inattendu : alors qu’en décembre 2019, le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron annonçaient une réforme du franc CFA et le remplacement de la monnaie par l’Eco dans les huit pays membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), les deux chefs de l’Etat avaient avancé une date de mise en circulation de l’Eco : le mois de juillet 2020. Un an plus tard, c’est toujours le calme plat. Le franc CFA est toujours en vigueur et aucun accord concernant la future monnaie unique n’a été trouvé entre les différents pays.
Déjà de nombreuses tentatives avortées
Il faudra finalement attendre encore six ans. La monnaie commune de la Cedeao ne verra en effet pas le jour avant 2027, ont décidé les ministres des Finances des pays concernés lors du sommet de la Cedeao qui s’est déroulé à la fin du mois de juin dernier. Un retard dû en partie à la pandémie de Covid-19. Mais si l’Eco a du mal à voir le jour, c’est également pour des raisons politiques et économiques. « Les Etats membres ne sont pas en mesure de satisfaire aux critères de convergence pour le lancement de la monnaie unique. Il s’agit notamment de l’inflation, du ratio dette/PIB, du déficit budgétaire et de son financement, des réserves et de la stabilité du taux de change », résume l’Institut d’études de sécurité (Issafrica). Une « indiscipline budgétaire » du Nigéria pourrait avoir été la cause principale des désaccords entre Etats membres. Issafrica juge toutefois que ce problème est loin d’être insurmontable.
Reste cependant un désaccord politique de taille, qui a mis un coup d’arrêt à la feuille de route de l’Eco. La faute au franc CFA. Il y a, au sein de la Cedeao, « des débats concernant ses avantages économiques, mais ce sont les implications politiques du franc CFA qui sont encore plus controversées. Largement considérée comme un vestige gênant du colonialisme français en raison du rôle du Trésor public français dans sa gestion, cette monnaie s’est récemment trouvée sous le feu de critiques croissantes », indique Issafrica.
Des tensions existeraient entre les blocs francophone et anglophone. Les pays anglophones, suivant le Nigeria, ont condamné l’annonce conjointe d’Alassane Ouattara et Emmanuel Macron, craignant que la mainmise du gouvernement français sur les finances de l’UMOA se poursuivre après la mise en circulation de l’Eco.
18 millions de dollars pour lancer l’Eco
Si Jeune Afrique se félicite donc, par la voix d’un économiste ouest-africain, de « l’effort accompli pour rapprocher les positions des protagonistes » dans le but de fournir « un cahier des charges détaillé pour la création de la monnaie unique », l’Eco est encore une chimère, dont on ne sait pas si il sera ou non mis en circulation un jour.
Car la volonté de mettre en place une monnaie unique ne date pas de décembre 2019. C’est en 1987 que le projet a réellement été imaginé. Des reports successifs ont retardé la mise en circulation d’une nouvelle monnaie unique. Rien que ces vingt dernières années, cinq tentatives de lancement auraient avorté. Des reports qui coûtent cher : Issafrica assure que « des investissements importants ont été réalisés pour établir cette monnaie, avec la création d’au moins deux agences dédiées à cette tâche, à savoir l’Institut monétaire d’Afrique de l’Ouest et l’Agence monétaire d’Afrique de l’Ouest. Chaque report du lancement de la monnaie unique signifie l’augmentation du coût financier de l’entretien de ces agences ».
L’initiative Eco sera-t-elle la bonne ? Rien n’est moins sûr. Le report à 2027 montre un certain manque de volonté de la part de la Cedeao, dont certains membres refusent de suivre la calendrier imposé par Paris. Il montre également le manque de consensus au sein de l’organisation ouest-africaine. Au sein de la Cedeao, on déplore le flou qui entoure le processus de décision, des pays contribuant plus largement au PIB de la sous-région que d’autres.
Enfin, la Cedeao sait que beaucoup de fonds ont déjà été engloutis dans des projets de monnaie unique qui n’ont jamais vu le jour. La mise en œuvre de la feuille de route de l’Eco devrait coûter près de 18 millions de dollars. La note est assez élevée pour une monnaie dont on ne connaît pas encore d’importants détails. On saura finalement assez rapidement si l’Eco tombera ou non à l’eau. A la fin de l’année 2023, un accord de création de la BCAO, la banque centrale ouest-africaine, doit être signé. On saura alors quel pays accueillera l’institution… si celle-ci voit le jour.