La série de l’été du Journal de l’Afrique consacrée aux tyrans d’Afrique débute avec le plus sanguinaire et le plus cruel d’entre eux : l’autoproclamé président à vie de l’Ouganda, Amin Dada.
S’il fallait caricaturer un tyran africain, même le cinéma hollywoodien n’aurait pas trouvé mieux qu’Idi Amin Dada. Le dirigeant ougandais a d’ailleurs été le sujet de plusieurs films. On se souvient particulièrement du « Dernier Roi d’Écosse » ou de « Raid sur Entebbe », remis au goût du jour par Netflix. Il faut dire que ce colosse de presque 2 mètres pour 125 kilos était aussi fascinant qu’il était tyrannique. A son palmarès, entre 100 000 à 300 000 Ougandais tués en seulement huit ans de règne. Du sang, donc, mais également un côté caricatural qu’il aimait cultiver : Amin Dada s’est en effet proclamé « seigneur de toutes les bêtes de la Terre et de tous les poissons de la mer », « vainqueur de l’impérialisme britannique » ou encore « dernier roi d’Ecosse ».
« Big Daddy », comme on le surnommait, avait été repéré à l’âge de 21 ans par l’armée britannique. Il est enrôlé dans les rangs du 4e bataillon du King’s African Rifles, le régiment colonial britannique chargé de faire le sale boulot du Royaume-Uni au Kenya, dans les années 1950. Amin Dada participe à la sanglante répression de la révolte des Mau-Mau. En 1962, le sergent-chef Amin Dada voit son pays, l’Ouganda, accéder à l’indépendance. Il est envoyé en Grande-Bretagne puis en Israël pour être formé. Ironie du sort : alors qu’il est de retour en Ouganda et qu’il est nommé chef d’état-major, Amin Dada renverse en 1971 Milton Obote, le président qui, quelques années plus tôt, le qualifiait de personne « limitée » et « inoffensive ».
Une haine envers Israël
Moins d’un an après son arrivée au pouvoir, Amin Dada, certainement influencé par Kadhafi, expulse plus de 500 conseillers militaires et diplomates israéliens du pays. Dès lors, le leader ougandais vouera une haine sans limite à l’Etat hébreu. S’il organise régulièrement des simulations d’opération militaire pour envahir le Golan, Amin Dada sera l’un des acteurs majeurs de la pris d’otage d’un avion d’Air France en provenance de Tel-Aviv, en 1976. Il accueillera le Front populaire de libération de la Palestine, à l’origine de la prise d’otage. Mais après un raid des forces spéciales israéliennes, Amin Dada entrera dans une colère noire. Il fera alors exécuter 200 officiers et hauts fonctionnaires, punis pour avoir été incompétents, et expulsera tous les étrangers d’Ouganda.
Un épisode qui montre toute la folie dont Amin Dada était capable. Mais un an avant le raid d’Entebbe, Idi Amin Dada avait déjà défrayé la chronique. Alors qu’il s’était autoproclamé « président à vie », il avait décidé de se déplacer sur une chaise à porteurs, dont les porteurs étaient… des hommes d’affaires occidentaux. Jugé incontrôlable, Amin Dada était moqué en Occident, notamment pour son amour pour les Disney. En Ouganda, il était perçu comme redoutable. Quant à l’Afrique, elle le voyait comme un africaniste anticonformiste. Comme lorsqu’il a pris la présidence de l’Organisation de l’unité africaine et décidé de lancer le concours de « Miss OUA », ou quand il organisait des simulations pour libérer l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Africaniste et anticolonialiste
Sa politique nationale aura été à la fois celle d’un tyran et celle d’un africaniste. « Ce n’est pas suffisant de limiter Amin Dada à un bouffon ou à un meurtrier. Il est une réalité africaine. Il a réalisé le rêve africain, la création d’un État vraiment noir », résume l’écrivain britannique Dennis Hill. A son arrivée au pouvoir, Amin Dada expulse 80 000 Indiens, qui contrôlaient l’économie ougandaise. Il veut ainsi rendre l’Ouganda aux Ougandais. Mais l’économie s’effondrera pendant toutes ses années de dictature. Au niveau diplomatique, il n’hésitera pas à critiquer Brejnev ou Mao Tsé-toung, il proposera même à la reine Elizabeth de venir en Ouganda pour voir ce qu’est un « vrai homme », et ira jusqu’à organiser ironiquement une collecte pour sauver le Royaume-Uni de la crise. Au final, il rompra définitivement les relations avec l’ancienne colonie.
Après des dizaines de milliers de meurtres, de nombreuses personnes jetées aux crocodiles et d’autres torturées, Amin Dada est renversé par l’armée tanzanienne. Le maréchal avait lancé un assaut contre le pays voisin et promettait une guerre de « 25 minutes ». Elle lui aura finalement coûté sa place de président à vie. Après un passage en Libye, Amin Dada se retrouve finalement en exil en Arabie Saoudite. Pisté par un journaliste italien, Riccardo Orizio, il dira à ce dernier qu’il se « consacre à la religion » musulmane, « et à rien d’autre ». A Jeddah, il récitera la Coran, jouera de l’orgue, ira au sauna et pêchera du poisson. En somme, il aura vécu « une vie paisible », selon ses mots. Quant à son règne sanguinaire, il assurera ne rien regretter. « Je n’ai pas de remords, seulement de la nostalgie », expliquait-il, six avant de mourir, le 16 août 2003.