Après avoir refusé de participer au Sommet international sur la Libye « Berlin II », le ministre marocain des Affaires Etrangères, Nasser Bourita, a organisé une conférence de presse. Il explique qu’il faut trouver, pour le dossier libyen, une solution nord-africaine.
« Pas de solution berlinoise à un problème d’Afrique du Nord ! » Voilà mot pour mot ce qu’a déclaré Nasser Bourita, lors d’une conférence de presse tenue hier à Rabat, en compagnie d’Aguila Salah, chef de l’Etat de la transition libyenne. Le ministre des Affaires Etrangères du Maroc et le président du Parlement libyen ont ainsi décidé de court-circuiter toutes les parties prenantes du dossier libyen, réunies en Allemagne. Mais surtout, l’Afrique, un continent pourtant très important pour Mohammed VI, le souverain du Maroc.
La Libye avait entretenu des relations cordiales avec les pays d’Afrique subsaharienne ces dernières décennies. Du temps de Mouammar Kadhafi, malgré toutes les critiques qui lui étaient adressées de son vivant, la Libye était devenue l’un des refuges des panafricains. Pour peu qu’il s’agisse des luttes indépendantistes ou du développement dans les pays africains, l’Etat libyen a toujours fait preuve de ce panafricanisme que semble aujourd’hui occulter le ministre marocain des Affaires étrangères.
Denis Sassou N’Guesso a toujours soutenu une transition pacifique en Libye
Parmi tous les chefs d’Etat africains, celui que l’on considère comme le survivant de la guerre de l’Occident sur les panafricains, préconise une solution africaine en Libye. En effet, le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou N’Guesso, a soutenu une transition pacifique en Libye, depuis toujours. Or, ni le Maroc, ni ses alliés occidentaux ne considèrent sérieusement qu’il s’agit là d’une solution légitime. Denis Sassou N’Guesso est pourtant le président du Comité de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur la Libye. Une Union africaine qui n’est que peu écoutée dans ce dossier et le déplore.
Les internautes ont réagi négativement aux déclarations de Bourita qui, dans un lapsus révélateur, ne semble pas considérer la Libye comme un pays africain, mais le réduit désormais à un pays nord-africain. Cette désignation géographique réductrice est bien plus que de la sémantique. Le ministre cherche à octroyer au Maroc une plus grande légitimité que l’Algérie sur le dossier libyen. Cependant, différents intervenants dans les coulisses parlent, sous couvert d’anonymat, « d’arrogance » diplomatique de la part du Maroc.
La monarchie marocaine sur la Libye
En effet, le royaume marocain a, certes, entrepris des efforts diplomatiques lors de la crise libyenne. Des efforts incomparables à ceux de l’Ouganda, de l’Algérie, du Congo, de l’Afrique du Sud ou même de l’Ethiopie et de la Tunisie. Avec, en point d’orgue, la non-participation à « Berlin II ».
Dans un passé récent, les navires américains transportaient les soldats de l’OTAN vers la Libye. En 2012, cette flotte a pris le Port de Ksar Sghir, au Maroc, comme point de réapprovisionnement. Depuis 2016, la monarchie marocaine a laissé ces mêmes troupes, après qu’elles ont été accusées d’avoir pillé la Libye et détruit ses infrastructures, s’installer à l’intérieur de ses frontières maritimes. Et lorsque la France et les Etats-Unis capturaient les leaders libyens, ils étaient interrogés par les renseignements marocains avant d’être envoyés dans les blacksites (prisons clandestines) d’Occident.
« L’arrogance » diplomatique de la monarchie marocaine
Toutes ces données, ainsi que la passivité du Maroc vis-à-vis de toute tentative pacifique de réunir les Libyens, montrent le décalage entre les déclarations du ministre marocain et la potentielle solution à la transition libyenne. « Suite aux instructions de sa Majesté le Roi, le Royaume du Maroc a adhéré aux efforts entamés par les Libyens pour résoudre la crise », a même osé Bourita. Rappelant, encore une fois, que la monarchie marocaine était omniprésente dans la gestion de la Libye. Jusqu’à s’immiscer dans des relations supposément naturelles et inconditionnelles entre les deux pays.
Le ministre a ensuite affirmé : « Le Maroc écoute les Libyens et agit en fonction de ce qu’ils souhaitent. C’est exactement là son rôle ». Hormis cette visite d’Aguila Salah, le Maroc a reçu des responsables libyens six fois depuis 2011 et a effectué trois visites officielles en Libye. La diplomatie marocaine n’a été représentée au plus haut niveau que lors d’une seule de ces visites. Et le Maroc a interdit les flux de voyageurs libyens pendant trois ans lors de la dernière décennie.
Le problème libyen n’est pas un problème « nord africain » mais Africain. #LibyaAfrica #Libye #DenisSassouLibye pic.twitter.com/OjiTzSQ2Tr
— First Mag🎉🍾🥂🎁 (@FirstMagLeVrai) June 25, 2021
Une solution africaine en Libye est-elle encore possible ?
De plus, le Maroc ne participe pas au Sommet de Berlin, sous prétexte que la procédure paraît superficielle et vouée à l’échec. En réalité, le Maroc est surtout actuellement en conflit avec l’Allemagne, à cause de l’interposition de Berlin à la « dernière offensive » que prépare le Maroc au Sahara occidental, cherchant à anéantir le Front Polisario. Le Maroc a d’ailleurs suspendu toute ses relations diplomatiques avec le pays. Et après avoir longuement insisté sur la non-participation de l’Espagne au Sommet de Berlin, sur fond de crise migratoire, la diplomatie marocaine a boycotté le sommet.
Enfin, une solution nord-africaine impliquerait des discussions au moins tripartites avec l’Algérie et la Tunisie. Or, depuis la normalisation de ses relations avec Israël, entre autres, les liens entre les trois pays voisins se sont dégradés. De surcroît, l’Algérie participe au seul front africain intervenant dans le dossier libyen, celui de l’Union africaine.
Dix pays africains s’investissent inconditionnellement
Pendant que le Maroc semble parti dans une diplomatie hors-sol en ce qui concerne le dossier Libye, le président congolais Sassou N’Guesso et ses homologues de dix pays africains ont fourni de l’aide à la Libye pendant les guerres civiles. Et les pourparlers avec les dirigeants libyens n’ont jamais cessé. En l’occurrence, Denis Sassou N’Guesso a reçu dernièrement le chef politico-religieux Farhat Jaâbiri, par courtoisie mais aussi afin de trouver une solution politique inclusive en Libye. Le Cheikh Jaâbiri a été introduit au chef de l’Etat congolais par « l’inoxydable » Jean-Yves Ollivier, protagoniste des discussion interlibyennes à Dakar en 2018. Ainsi que médiateur de poids dans plusieurs crises en Afrique et proche de plusieurs chefs d’Etat africains.
S’agissant de ce dossier complexe, à l’exception du Tchad, les neuf pays africains qui dépensent du capital diplomatique le font de façon amicale. Et pour le Congo, la Mauritanie, le Niger et l’Afrique du Sud, ils s’investissent plus que les voisins immédiats de la Libye. Il existe en effet très peu de relations entre le Maroc et la Libye actuellement. Et les populations marocaines ne cessent de relever cette ingérence qui commence à apparaitre comme de l’opportunisme de la part de leurs diplomates, alors que les peuples marocain et libyen partagent une véritable amitié et mais surtout une Histoire commune.
Le président du Comité de @_AfricanUnion sur la #Libye, #Denis_Sassou_Nguesso soutient l'approche du sommet international à #Berlin sur le dossier de la #Libye et l'importance d'y établir la paix.#DenisSassouLibye #Berlin2Libya pic.twitter.com/Mb0gLxt6t4
— Diaspora 242 (@242Diaspora) June 23, 2021