Le Sommet international sur la Libye, qui se tient depuis hier en Allemagne, a réuni les puissances mondiales et quelques pays africains. A l’ordre du jour, la présence des paramilitaires étrangers et l’élection présidentielle libyenne.
La tenue du Sommet international sur la Libye, depuis hier en Allemagne, était un moyen de réunir les principaux concernés par la transition libyenne. Officieusement, c’était surtout un moyen pour l’Occident de réitérer ses exigences. Notamment, le départ des paramilitaires russes et des mercenaires syriens sous l’autorité d’Ankara. Ainsi que de confirmer la tenue de l’élection présidentielle au plus tôt.
L’élection, prévue pour le 24 décembre 2021, a donc été discutée dès le début de la conférence. Le Premier ministre libyen, Abdel Hamid Dbeibah, a déclaré que « la Libye a besoin de l’appui international pour l’organisation de l’élection ». Il a ensuite continué : « Le gouvernement a mis en place un programme pour la tenue des prochaines élections. Cependant, le budget n’a pas encore été adopté ». Dbeibah insinue, par cette déclaration, que si la communauté internationale ne participe pas au financement et à la logistique des élections, un retard sera forcément envisageable.
En effet, plusieurs personnes proches du pouvoir libyen avaient déjà annoncé qu’il n’est pas dans l’intérêt de Dbeibah d’organiser des élections à la date prévue. Il représente l’une des deux forces politiques du pays dont la légitimité est indiscutable pour l’ONU. Et il voudrait sans doute que les forces occidentales soient présentes en amont, dans les régions qui lui sont hostiles.
Sur le plan de la présence militaire russe, donc, l’Union européenne a proposé un autre sommet. A l’image du Sommet de la Finlande de 2007, l’Allemagne et la France voudraient réunir la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Pour discuter de la Libye.
Le statu quo entre la Russie et la Turquie qui dérange l’Occident
La Russie a été timide pendant la première journée du Sommet. Idem pour la Turquie, surtout depuis que les deux pays se sont mis d’accord sur plusieurs dossiers géopolitiques. En l’occurrence, le statu quo militaire en Libye, l’affaire des gisements de pétrole dans la Méditerranée, la Crimée ou encore les relations avec l’Egypte.
Avec ces rapports cordiaux entre les deux puissances, l’Europe voudrait sans doute mettre la Russie de son côté dans le dossier libyen. Quant à la présence de Wagner du côté des forces pro-Haftar, elle pourrait être plus qu’un contre-pouvoir pour la présence turque. En effet, depuis le retour du transport de pétrole entre Benghazi et la Tripolitaine, un circuit bien défini est établi.
Les champs de pétrole du centre et du sud sont sous la coupe de la chefferie locale. Les militaires russes assurent la protection des pipelines qui vont vers le nord-est. Haftar gère les ports de Benghazi, Zuwetina et Sidra. La NOC, sous le contrôle de Tripoli, s’occupe des raffineries, et les Etats-Unis et la Chine se partagent le brut.
Mais la Russie perdrait les revenus du transport de brut si elle se retirait de l’est libyen. La Turquie, elle, prélève ses parts en frais de sécurité pour l’Etat, grâce au contrôle de la Méditerranée, facilité par sa présence en Libye. Il est donc plus que probable que le départ des mercenaires soit une concession que ni la Turquie, ni la Russie, ne pourraient faire. Or, en proposant une réunion avec la Russie, l’UE cherche sans doute à proposer un autre arrangement pour Moscou qui n’implique pas de soldats sur le terrain.
Une élection en Libye et l’ombre de Saïf al-Islam Kadhafi
Le gouvernement d’unité nationale (GNU) de Abdel Hamid Dbeibah a été appuyé par les parties libyenne et internationale pour une raison : la tenue des prochaines élections et le maintien du cessez-le-feu. Or, les immixtions incessantes de la MANUL dans l’est ont compliqué la tâche pour Dbeibah. Qui a vu son statut passer de facilitateur à protagoniste.
Il est certain que le leader libyen, autrefois confident de Kadhafi, voudrait continuer à exercer le pouvoir. Toutefois, le retour de Saïf al-islam Kadhafi est une complication pour une majorité des élites historiques. Entre Fayez el-Sarraj, Dbeibah, Fathi Bechaga et Mohammed el-Menfi, c’est sans doute le fils Kadhafi qui pourrait faire pencher la balance. Et si ce dernier est amnistié des charges internationales, et qu’il participe directement à l’élection, il serait largement favori dans le pays.
Dans tous les cas, une majorité des protagonistes de la politique libyenne, ainsi que le maréchal Haftar, sans oublier le chef du parti al-Watan, Abdelhakim Belhadj, se retrouveraient tous sur le carreau, confrontés à un candidat appuyé par Kadhafi. Surtout si ce dernier venait à trouver un accord avec les Occidentaux. Une alliance Kadhafi-Dbeibah serait par exemple impossible à battre lors d’un scrutin. D’autant que le fils et dauphin de Mouammar Kadhafi est aussi le plus grand chef tribal du pays. Avec une légitimité incontournable auprès de la chefferie locale et des leaders touareg.
Quid des islamistes en Libye ?
Cependant, jouer cette carte serait politiquement fatal pour Kadhafi. Saïf al-Islam a fait ses premiers pas en sponsorisant des programmes comme « Libya al-Ghad » – la Libye de demain – qui avait causé des soucis par le passé. En effet, à cette époque, Dbeibah et le prédicateur Ali al-Sallabi avaient des différends clairs avec le choix de succession de Mouammar Kadhafi. Et depuis, les Frères musulmans et Saïf al-Islam Kadhafi n’ont jamais négocié une paix potentielle. Même après l’assassinat de Mouammar Kadhafi et les deux guerres civiles qui s’en suivirent.
En soi, la présence tuque est aussi légitimée par le mandat de l’ONU durant la guerre de Tripoli. Et même si Erdoğan s’entend particulièrement bien avec les islamistes nord-africains, il ne peut se passer de l’ONU en Libye.
L’autre politicien d’obédience islamiste en Libye, Abdelhakim Belhadj, s’est largement enrichi depuis la chute de Kadhafi. Il serait moins éligible à une alliance avec Dbeibah qu’Ali al-Sallabi. Belhadj est, en plus, un problème pour les Européens, qui le considèrent comme une des sources principales du trafic de migrants dans la Méditerranée. Quant aux Etats-Unis, ils le considèrent simplement comme un terroriste à cause de ses liens historiques avec al-Qaïda en Irak et avec l’ancien chef des talibans d’Afghanistan, le mollah Omar. Cela lui a valu un long emprisonnement et des mois de torture. Pourra-t-il cependant être un acteur clé ces prochains mois ? Dossier à suivre.