L’International Crisis Group (ICG) a publié un rapport le 4 juin 2021, étudiant les mesures de lutte contre le terrorisme en Tunisie. Cependant, le pays n’a pas connu d’attentats majeurs depuis des années.
Selon un rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG), la Tunisie devrait mettre en place des mécanismes afin « d’éviter une recrudescence des violences jihadistes ». Néanmoins, depuis la fin de la Bataille du massif de Djebel Chaambi en 2016, la Tunisie marque une nette baisse des violences terroristes.
La Tunisie reste en tête des « pays exportateurs de terroristes » dans les régions les plus menacées. Surtout dans le Moyen-Orient, où les combattants des groupes armés d’origine tunisienne sont plus de 5000. Certains ont expliqué ce phénomène par la libération de dizaines de terroristes condamnés depuis la révolution tunisienne de 2011. D’autres encore, justifient cette mouvance par le contexte politico-historique, et la répression des courants islamistes modérés en Tunisie.
La précarité croissante a grandement contribué dans la promotion des discours haineux. Et l’autorisation des prédicateurs wahhabites à organiser des conférences en Tunisie, depuis 2011, est aussi un facteur non-négligeable. Toutefois, la Tunisie connait aussi l’avènement d’une génération qui n’a pas connu la répression de la pratique religieuse. Si on rajoute les violences policières qui sévissent dans le pays, le danger de radicalisation dans un paradigme socio-économique est plus que présent.
Cependant, malgré les premiers échecs de l’Etat tunisien post-révolution à contenir à 100% les attentats terroristes et la criminalité transfrontalière, l’amélioration est indéniable. Selon le rapport de l’ICG, il y aurait « un net déclin de la violence jihadiste en Tunisie depuis 2016 ». Toutefois, on remarque aussi que « les mesures antiterroristes mises en place depuis 2013 nuisent à la cohésion sociale et minent la confiance des citoyens à l’égard des institutions ».
Le terrorisme en Tunisie, le risque permanent
C’est un grand paradoxe, qui se base sur des spécificités factuelles qui ont des origines étrangères. Certainement, la fin de la guerre dans l’Ouest du pays n’a pas été suivi par un redéploiement des moyens de l’Etat dans les zones touchées. Mis à part l’installation d’une zone militaire, rien n’a été relevé à ce niveau.
Toujours dans les faits, réitérés aussi par le rapport de l’ICG, l’offensive de l’Etat Islamique (Daech) dans le Sud tunisien a été contenue. La frontière avec la Libye est même réouverte. Ensuite, la déroute d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans les montagnes algériennes est certaine.
Le danger qui existe toujours est la présence des éléments responsables de l’attaque de 2013. La dénommée Katiba Okba Ibn Nafaa n’est toujours pas neutralisée. Les saisies d’armes et l’interpellations d’anciens membres de la Katiba ont encore lieu. Certaines attaques, comme celle à l’ambassade américaine le 6 mars, ont été avortées au dernier moment. Cette dernière attaque, ainsi que beaucoup d’autres attentats terroristes sporadiques existent encore.
Toutefois, on est bien loin de l’époque lorsque les militaires, les civils et les policiers se faisaient attaquer frontalement et mourraient par dizaines. Le rapport de l’ONG, créée par un certain Morton Abramowitz et les renseignements américains, parle d’un tout autre souci.
En effet, si l’on peut imputer une description à la Katiba Okba Ibn Nafaa, c’est la résilience de ses membres. La Katiba a des liens directs avec les responsables de l’attaque terroriste majeure en Tunisie – la fusillade de Soliman en janvier 2007 – l’armée Assad Ibn Fourat. L’un d’entre eux, après que les forces armées tunisiennes l’aient déclaré mort par balle en 2006, tirait déjà à l’AK47 sur les gendarmes un mois plus tard. Et plus récemment, aurait fait tomber un hélicoptère de l’armée, seul, durant l’attaque de Ben Guerdane en 2016.
L’ICG est-il bien placé pour juger du potentiel de récidive des terroristes ?
Cependant, la lutte antiterroriste en Tunisie, surtout « en période de trêve », tourne autour d’un autre contexte. L’ICG aurait peur que « la majorité de près de 2200 détenus en lien avec des affaires de terrorisme quittent les prisons tunisiennes au cours des trois années à venir ». L’ONG estime aussi que certains d’entre eux aient « connu des détentions propices à la récidive ».
L’organisation ignore deux faits, toutefois. Premièrement, aux Etats-Unis, les « détenus » pour des crimes terroristes ou des soupçons sont torturés pendant des années, voire à perpétuité, dans des camps offshores. Ce n’est pas le cas en Tunisie. Deuxièmement, et malgré les conditions déplorables du traitement des mis en examen, les accusés de crimes terroristes ne sont pas « détenus » en Tunisie. On les arrête et ils comparaissent devant la justice pénale. Pour la plupart, ils sont jugés par un tribunal militaire. Ils ont le droit à une représentation légale. Et plusieurs, surtout les plus jeunes, sont emprisonnés dans les mêmes prisons que les autres criminels condamnés.
Donc, si des motifs de radicalisation existent bien pendant que des terroristes écopent d’une peine de prison, ils sont incomparables à ceux que subissent les mêmes terroristes lorsqu’ils sont transférés des zones de guerre à la Tunisie par la justice occidentale.
Le rapport déplore aussi le « contrôle administratif contraignant » que « subissent les détenus » après leur libération. L’ICG homologue ce contrôle à une difficulté de réinsertion socio-professionnelle. Mais cette même ONG est installée au même pays d’où proviennent 8974 de ses 9109 membres ou employés depuis 1995. Le pays en question, les Etats-Unis d’Amérique, a un taux de récidive criminelle de 67%, contre 39% en Tunisie. Il serait donc légitime de se demander si l’ONG, malgré la pertinence de son rapport, a le recul nécessaire.
Le terrorisme en Tunisie, les péchés des pères
L’ICG parle aussi du retour des jihadistes tunisiens, qui ferait l’objet selon l’ONG d’inquiétudes exagérées. Or, les dossiers de ces mêmes jihadistes ont pour la plupart été traités par les belligérants des guerres. Comme en Syrie et en Libye. Il serait légitime pour l’opinion publique tunisienne de s’inquiéter tant que la Tunisie est un pays souverain et que sa justice n’ait pas tranché de l’essor de ces dossiers.
Le rapport parle aussi, avec beaucoup de complaisance, du piteux état dans lequel se trouvent ces « revenants et revenantes ». Certains seraient « passés au hashish et à l’alcool et considèrent avoir été victimes d’une propagande ». Rappelons que 160 des 2200 terroristes condamnés emprisonnés en Tunisie ont commis des violences sur le territoire tunisien. Et pour 93 d’entre eux, ils ont été relâchés préalablement par l’Etat, depuis 2011.
Sous la pression des instances internationales, dont Human Rights Watch, Amnesty International, le FMI et les organes de l’ONU, ces individus ont été relâchés. Certes, la volonté politique de contenter les alliés de l’ancien président Ben Ali existait. Néanmoins, la justice ne pouvait rien faire devant les décrets post-révolution, sous la menace de la radiation des magistrats. Rappelons que Foued Mebazaa avait radié plusieurs juges ayant principalement délibéré dans les affaires terroristes, par décret présidentiel. Ce dernier était aussi un proche de Ben Ali, et a procédé à plusieurs décisions unilatérales. Notamment contre des ministres, des juges et des hauts fonctionnaires.
Enfin, la criminalité s’accélère en Tunisie, sans doute. Mais la raison première, de commun accord, est la précarité et la faiblesse de l’Etat. Si les crimes terroristes reprennent sur le territoire tunisien, ils incomberaient également à ce contexte que l’ICG confirme.