La Cour constitutionnelle malienne a proclamé le chef de la junte Assimi Goïta président intérimaire du Mali. Face à l’établissement du pouvoir de l’armée, nouvellement soutenue par le mouvement M5-RFP, la CEDEAO se réunira demain.
Après l’accord entre la junte au pouvoir et le mouvement politique d’opposition M5-RFP hier, concernant le choix du Premier ministre, une autre annonce a eu lieu plus tard dans la soirée du vendredi. La Cour constitutionnelle a proclamé le Colonel Assimi Goïta président de la Transition du Mali, officiellement.
Cette décision intervient après que la cour a été saisie mercredi de la démission du président Bah N’Daw. Ce dernier a été arrêté par les militaires, ainsi que son Premier ministre Moctar Ouane. Le scénario de ce changement à la tête de l’Etat est considéré comme un putsch. Toutefois, devant le soutien de la classe politique et des populations de ce nouveau coup d’Etat, la cour avait peu de choix.
Sur le plan international, seuls les Etats-Unis ont officialisé des sanctions contre la junte malienne. Les autres Etats et les institutions internationales se sont contentées de « condamner » et de « demander la libération du président et des responsables détenus ». La CEDEAO avait envoyé l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan afin de médier en son nom. Après un séjour de deux journées, le 25 et le 26 mai, Jonathan aurait convaincu Goïta de libérer N’Daw e Ouane et de les garder en résidence surveillée.
Cependant, la CEDEAO n’a pas encore dit son dernier mot. Les chefs d’Etats et les responsables de la communauté se réuniront donc demain, à la capitale ghanéenne, afin de délibérer sur une position officielle.
La CEDEAO et les coups d’Etats au Mali, des regrets trop récents
A la suite du dernier coup d’Etat au Mali, lorsque la même junte a renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), la CEDEAO a exercé beaucoup de pression sur l’Etat malien. Elle a décidé la fermeture des frontières avec le Mali et l’arrêt des échanges financiers et commerciaux. Ce n’est qu’après plusieurs gestes de bonne volonté du Mali que ces sanctions ont été levées. Notamment, la junte avait permis à IBK de se faire soigner à l’étranger. Ensuite, elle a établi le gouvernement civil de Moctar Ouane et a mis N’Daw à la tête du pays.
L’embargo de la CEDEAO avait duré dix semaines. Certains spécialistes estiment qu’il a été levé en faveur des opérateurs commerciaux des pays voisins. Le Mali est un point de consommation important. Donc l’embargo avait nui davantage aux pays qui l’avaient imposé. Des organisations maliennes ont d’ailleurs porté plainte contre la CEDEAO auprès de la Cour de justice Communautaire. La plainte a été jugée recevable, et la cour devrait en délibérer prochainement.
Au niveau politique, les rumeurs parlent de « sanctions ciblées » contre le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) malien. En effet, la CEDEAO vise individuellement la junte. Le fait est que les civils maliens ne s’étaient pas soulevés contre le coup d’Etat. Et au niveau des parties civiles influentes dans le pays, la réaction a été plutôt favorable pour un gouvernement militaire.
La CEDEAO doit prendre en compte le sentiment anti-français
Durant l’après-midi du vendredi, les premières manifestations citoyennes depuis le putsch ont eu lieu dans les rues de Bamako. Les manifestants portaient différents slogans. Parmi eux, des pancartes anti-françaises, d’autres soutenant l’armée et d’autres, plus étranges, promouvant une intervention russe au Mali.
Lorsqu’on observe la géopolitique africaine, la France, ancien colonisateur de plusieurs pays africains, a établi un néocolonialisme dénoncé par les populations de l’Afrique francophones. Outre l’accaparement des finances africaines sous l’égide du franc CFA, la France a une armée déployée au Mali. Depuis des années, les soldats français ont causé beaucoup de mécontentement dans les rues maliennes. Depuis quelques mois, ce mécontentement est de plus en plus palpable. En effet, les raids aériens de la force Barkhane française, désignés à la lutte antiterroriste, tuent des civils à la place.
Les citoyens maliens voient progressivement que l’entrisme français n’arrive pas à mettre fin aux soucis immédiats du pays. En contraste, les pays francophones plus proches de la Russie ou de la Chine, comme la République centrafricaine, voient relativement le bout du tunnel. Il n’y a aucun doute que les puissances mondiales exportent leur guerre par proxy en Afrique. Toutefois, l’émancipation de la mainmise française représente pour beaucoup un objectif, n’importent les concessions.
Néanmoins, les plus nuancés estiment qu’échanger le néocolonialisme français par un partenariat russe ne soit pas une solution. Ce sont toutefois des voix que l’on entend moins. En effet, la situation socio-économique est intenable dans beaucoup de pays, dont le Mali. Et le changement politique, ainsi que ses implications au niveau des alliances internationales, régulent cette situation. Ce qui explique pourquoi le M5-RFP ait accepté la primature, et avancé son chef pro-russe, Choguel Maïga. La CEDEAO prendra-t-elle compte de ce contexte ?