Il y a 60 ans, l’Algérie est devenue indépendante. Une indépendance obtenue dans le sang, qui a dessiné l’Algérie d’aujourd’hui, mais aussi les relations de la France avec ses anciennes colonies, la pensée anticoloniale et tiers-mondiste en Afrique et dans le monde.
« L’Algérie n’est pas une simple expression géographique mais plutôt un programme d’action et une philosophie politique ». Une déclaration signée Houari Boumédiène. Ce constat du second chef d’Etat algérien n’est pas loin de la vérité.
Car l’Algérie a payé le prix fort pour son indépendance vis-à-vis de la France coloniale. Avec un chiffre oscillant entre 1 et 1,5 million de martyrs. Et c’est dans le sang de ces martyrs, l’Etat-Nation algérien est né, et résiste encore et toujours aux ingérences étrangères. Mais pas seulement, car c’est également en Algérie que les panafricains des premières indépendances ont adopté le tiers-mondisme, et que la pensée révolutionnaire, en tant que doctrine, a planté son drapeau sur le continent africain.
La Mecque des révolutionnaires
Le leader de l’indépendance bissau-guinéenne Amílcar Cabral a été le premier à appeler Alger « la capitale des révolutions ». « Les musulmans font le pèlerinage à La Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger », résumait Cabral en 1969.
C’est également en pleine guerre d’indépendance en Algérie que l’essayiste martiniquais — il se considérait cependant algérien — Frantz Fanon a rédigé « Les Damnés de la terre ». Fanon estimait d’ailleurs que « la violence du colonisé unifie le peuple. De par sa structure, le colonialisme est séparatiste et régionaliste ».
D’ailleurs, c’est pour cette exacte raison que les deux premières décennies post-coloniales en Algérie ont été consacrées à trois thèmes : la lutte contre la désertification (le Barrage vert), la nationalisation des ressources naturelles algériennes et la diffusion de la culture tiers-mondiste.
Trois paris gagnés, mais dont le modèle a très peu pénétré les autres pays africains, ou plutôt a disparu ailleurs en Afrique avec le temps. Les Algériens, eux, vantent souvent « l’identité » ou « la personnalité » algérienne : un melting-pot de passion et de fierté, qui fait de l’Algérie — certains pourraient le contester — le pays le mieux préparé à l’autarcie et le plus proche de l’autonomie en Afrique.
L’Algérie se tourne vers le futur avec optimisme
Cette continuité entre le passé et le présent explique d’ailleurs l’appel du ministre algérien des Moudjahidine — comprendre « les martyrs » — Laïd Rebiga à la jeunesse algérienne « de faire sien le serment des moudjahidine, en vue d’en assurer la continuité ».
En marge de la commémoration du 60e anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie, le gouvernement a lancé la plateforme « Glorious Algeria », où l’Etat prendra en charge la sauvegarde de l’Histoire du pays. Ce serait, selon le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane, « la vitrine de l’Algérie, historique et civilisationnelle, (…) loin des campagnes de dénigrement menées par les ennemis haineux de l’Algérie ». Une initiative parmi d’autres lors des célébrations du 5 juillet. En effet, les autorités algériennes comptent également organiser une parade militaire à Alger, la première depuis 33 ans.
L’Algérie fête aussi le jubilé de diamant de son Etat dans un contexte particulier. D’un côté, cela fait un peu plus de trois ans que les manifestations du Hirak ont provoqué la chute d’Abdelaziz Bouteflika. Une série de réformes constitutionnelles, politiques et socio-économiques s’en est suivie. Toutefois, le monde entier a traversé crise sur crise pendant la même période. En Algérie, la pandémie de la Covid-19 a démarré en pleine récession en raison de la chute du prix de pétrole (datant de 2016).
Mais depuis, les choses s’améliorent. Le conflit russo-ukrainien a fait monter en flèche le prix du gaz et du pétrole. Ce qui a permis à l’Algérie de lancer plusieurs projets de développement : un Plan agricole comportant la création de nouvelles coopératives financées par l’Etat, un mégaprojet avec la Chine dans la production d’engrais, et plusieurs accords avec l’Italie notamment dans le gaz.
Paris refuse toujours de s’excuser
Rien n’empêche, donc, les Algériens de regarder le futur avec espoir, alors qu’ils célèbrent la lutte glorieuse de leurs aïeux contre le colonialisme. Certes, comparées aux dernières années, les relations entre l’Algérie et la France se réchauffent. Toutefois, l’ancien Etat colonisateur refuse encore de s’excuser clairement pour ses exactions en Algérie.
Lire : France-Algérie : des regrets en guise d’excuses
En octobre dernier, le président français Emmanuel Macron déclarait : « La nation algérienne post-1962 s’est construite sur une rente mémorielle » basée sur « une haine de la France ». Ce qui avait provoqué l’énervement du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui a refusé pendant des mois de prendre Macron au téléphone. L’Algérie avait également rappelé son ambassadeur et interdit le survol des aéronefs français sur son territoire. Pour rappel, l’Algérie est aussi l’un des rares pays africains à appliquer le principe de réciprocité en matière d’octroi de visas, et les Français n’y accèdent pas facilement en général.
Néanmoins, depuis quelques mois, les relations diplomatiques franco-algériennes semblent reprendre. L’ouverture des archives de colonisation, la restitution de crânes des résistants algériens ou encore les déclarations du gouvernement français — notamment des ministres Gérald Darmanin et Jean-Yves Le Drian — ont contribué au retour de la bonne entente entre Alger et Paris.
Les Algériens plus rancuniers que leurs dirigeants
Mais si les Etats peuvent discuter, les populations, elles, tranchent plus facilement. Alors que se concluent ce mardi les Jeux méditerranéens Oran 2022, leur déroulement en dit long sur les relations entre la France et l’Algérie. En effet, l’hymne national français a été sifflé dans les stades, et les athlètes – à quelques exceptions près – hués. Depuis la cérémonie d’ouverture, 40 000 spectateurs ont chanté « vive l’Algérie » lors du passage de la délégation française.
De récents exemples qui montrent que la « rente mémorielle » de Macron est plutôt une histoire douloureuse pour les populations algériennes. Les médias français, eux, invitent depuis quelques jours des intervenants hostiles à l’Algérie, qui essayent de relativiser le colonialisme meurtrier de la France.
C’est le cas par exemple de l’écrivain français Karim Amellal, proche de Macron, qui estime qu’« il y a comme un trop plein de mémoire ». Ou encore de l’historien Amar Mohand-Amer, qui dit que « l’instrumentalisation de cette relation (entre la France et l’Algérie, ndlr) d’un côté comme de l’autre n’échappe à personne ».
Le choix des « spécialistes en Algérie » n’échappe pas aux Algériens. Selon un sondage du quotidien algérien El Watan, 84% des Algériens estiment qu’il « ne faut pas pardonner aux harkis ». Un stigmate qui ne touche pas seulement ceux qui ont servi comme supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie, la preuve…