L’Union africaine est-elle encore utile ? Depuis sa création dans la nuit du 25 au 26 mai 1963, sous le nom d’Organisation de l’unité africaine, l’institution n’a pas vraiment atteint ses objectifs initiaux.
Addis-Abeba, le 25 mai 1963. L’Éthiopie vit, dans la nuit, un moment historique. Alors que 32 chefs d’États et de gouvernements se sont réunis, ils actent la création de l’OUA, l’Organisation de l’unité africaine, en signant la charte de l’unité africaine. Dans cette charte, les leaders africains se disent notamment « convaincus que les peuples ont le droit inaliénable de déterminer leur propre destin » et « conscients du fait que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ».
Surtout, lors de cette nuit historique, les 32 présidents et Premiers ministres assurent que leur « devoir » est de « mettre les ressources naturelles et humaines de notre continent au service du progrès général » des peuples « dans tous les domaines de l’activité humaine ». Soixante années plus tard, les Déby, les Obiang et les autres n’ont pas vraiment respecté leur engagement. Ce devoir de développement a, bien souvent, été effacé par des enrichissements illégaux ou par un manque de volonté. Remplacée par l’Union africaine (UA), en 2002, l’OUA a donc échoué. L’UA, elle, prend le même chemin.
Contre-productivité
Car si les objectifs de l’organisation continentale sont d’œuvrer à la promotion de la démocratie, des droits humains et du développement à travers l’Afrique, force est de constater que l’UA est devenue une organisation où l’on flatte les égos des dirigeants à la tête de ses Commissions, bien loin de l’une des missions qu’elle s’était fixées : résoudre les conflits. Depuis l’Éthiopie jusqu’au Soudan, en passant par le Mali, force est de constater que l’Union africaine a été contre-productive.
L’un des derniers exemples en date, c’est le Conseil de paix de l’UA de Lusaka, en 2016, où les dirigeants du continent se sont promis de désarmer les conflits politiques en Afrique. Sept ans plus tard, le constat est terrible : selon Small Arms Survey (SAS), 80% des armes légères en Afrique sont détenues par des civils. Et les conflits africains sont meurtriers. Actuellement à Khartoum, aucun chef d’État africain n’a réussi à faire respecter le cessez-le-feu. Et l’UA, du Soudan à la Libye, n’a aucun pouvoir, préférant laisser l’Occident et les pays du Golfe persique se poser en négociateurs.
Si l’échec au niveau de la paix est patent, il l’est tout autant au niveau commercial. On l’a vu lors de la pandémie de Covid-19 : l’UA voulait faire annuler la décision de l’OMC de limiter les licences de fabrication des vaccins anti Covid-19 par la propriété intellectuelle des compagnies pharmaceutiques occidentales. L’organisation continentale aurait pu teter de délivrer des licences de fabrication de vaccins mais a préféré acheter des vaccins à l’étranger.
L’espoir est encore permis
L’union tant désirée par les fondateurs de l’OUA ne serait qu’un leurre. On est loin des promesses du sommet d’Addis-Abeba, qui prônait l’unité et la réconciliation. À l’époque, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Malien Modibo Keita était brouillés depuis la chute de la fédération du Mali. Les deux hommes avaient marqué l’événement avec une accolade historique. Désormais, les dissensions sont régulières. On se souvient par exemple du cas du Maroc, qui s’était retiré de l’organisation à cause du Sahara occidental, adhérent comme lui de l’UA. « L’impuissance de l’UA à faire valoir les droits des peuples africains face à la communauté internationale s’est illustrée de façon flagrante dans le conflit libyen en 2011, au cours duquel les puissances occidentales se sont arrogé de manière unilatérale et éhontée le droit de décider de l’avenir du pays », rappelle l’ancien président de l’Afrique du Sud Thabo Mbeki.
Pour autant, l’UA est-elle condamnée à l’échec ? L’organisation peut encore espérer reprendre le destin de l’Afrique en main. Notamment parce que « le défi du développement africain tel qu’il est défini par les Africains n’est plus une priorité de l’agenda politique et économique mondial », résume Mbeki qui déplore « que l’Occident mette tout en œuvre, par le biais d’un prétendu ‘soft power’, pour cantonner l’Afrique dans la dépendance ». Une communauté internationale qui exploite « délibérément nos faiblesses afin d’évincer tout gouvernement africain qui ne lui conviendrait pas et de se positionner ainsi comme le seul intervenant crédible dans le destin de l’Afrique ».
C’est là qu’est la carte à jouer de l’UA. Soixante ans après la naissance de l’OUA, l’UA peut encore retrouver ses lettres de noblesse. « Il ne faut pas avoir peur de défendre le droit à l’autodétermination concrétisé par la création de l’UA, conclut l’ancien président sud-africain. Et c’est à l’Union africaine qu’incombe la mission sacrée de mobiliser et de fédérer nos forces afin de concrétiser ce rêve, sans laisser des conflits mesquins nous diviser ». Et l’ex-dirigeant de prévenir : « Si la réalisation de ce rêve était encore une fois retardée, cela risquerait de finir par une explosion ».